Lors de la 15è édition de Paris Photo, du 10 au 13 novembre, l'Afrique était l'invitée d'honneur dans le plus grand salon d'art photographique au monde. Une découverte majeure même si les photographes ne venaient pas uniquement d'Afrique. Malgré l'inexistence de galeries sur la presque totalité du continent, il y a énormément de photographes prometteurs en Afrique. Sur les 135 exposants issus de 23 pays, seuls quatre galeries africaines avaient fait le déplacement, toutes d'Afrique du Sud. Quand le plus prestigieux salon de l'art photographique au monde invite l'Afrique, quelle Afrique se retrouve dans le viseur ? « Il n'y a pas une photographie africaine, mais des artistes. Chacun a un style », répond Julien Frydman, directeur de Paris Photo. Pour lui, le salon permet de « montrer l'exhaustivité de la scène africaine (et non pas, ndlr) l'Afrique prise en photo au sens d'une vision illustrative. Ce sont des photographes issus du continent ou de la diaspora du continent dont on montre le travail. Et ce travail n'est pas à ghettoïser et à enfermer sous un label. Il est au contraire à mettre en relation avec les différentes pratiques et approches à travers le monde. »
L'Afrique « héroïque » Le Français Philippe Bordas, 50 ans, parcourt depuis une vingtaine d'années son Afrique « héroïque », à l'opposé de l'Afrique « victimisée » qu'on voit habituellement en photo. Il y a dix ans, il s'est retrouvé par hasard à côté de Sidiki Traoré, un Malien qui voulait enregistrer et ainsi préserver l'héritage des chasseurs du Mali. « Je suis sans doute tombé sur la seule personne, parmi les chasseurs, qui faisait un travail occidental et ‘ blanc ' de préservation matérielle du capital mémoriel ». Il s'agissait d'un accès en or pour une confrérie jusqu'ici secrète et en train de disparaître. Ainsi est née la série époustouflante qui capte les Chasseurs du Mali en habit de Moyen Age avec des hyènes en laisse, des serpents sur les épaules ou devant une tête de biche empaillée. Ces photos valent aujourd'hui entre 3 500 et 10 000 euros. « Pour moi, il n'y a pas de photographie africaine, assure Philippe Bordas. Il y a des personnes qui voyagent. Et maintenant les photographes nés en Afrique voyagent autant à l'étranger qu'en Occident. Comme les photographes occidentaux. Tout s'égalise. »
L'Afrique regarde et s'intègre Après tout, est-ce qu'il y a une photographie africaine? Pascal Martin Saint-Léon, de la galerie de la Revue noire, se montre résolument convaincu en exposant fièrement 50 photographes africains allant du trésor vivant, Malick Sidibé, né en 1936 au Mali, jusqu'aux jeunes artistes d'aujourd'hui : Alain Polo, né en 1985 à Kinshasa, qui esquisse des fragments d'un autoportrait, Dorris Haron Kasco, né en 1966 à Abidjan, qui poursuit Les Fous d'Abidjan et Joël Andrianomearisoa, né en 1977 à Madagascar, qui joue plutôt avec des doubles de lui-même. « Le face-à-face Nord-Sud, Afrique-Europe ou Afrique-Occident est passé, proclame Pascal Martin Saint-Léon. La plupart des jeunes artistes vont plus facilement en Asie ou en Amérique latine, surtout au Brésil, à cause de liens historique profonds. Le rapport n'est plus Nord-Sud. L'Afrique à la fois regarde et s'intègre à l'ensemble du monde. Les photos de Joël Andrianomearisoa ont été prises à Istanbul, d'autres à Bamako, d'autres en France, d'autres à Madagascar ou à New York. Il n'y a plus cette limitation, il n'y a plus ce face-à-face frontal. Cette époque est finie ou sur le point de se terminer. »
Des photos sans passeport africain Néanmoins, le seul pays africain capable, pour l'instant, d'envoyer une galerie à Paris Photo est l'Afrique du Sud. La Gallery MoMo de Monna Mokoena à Johannesbourg est l'une des quatre galeries qui démontrent la vivacité de la création et la réalité d'un marché sud-africain. Depuis 2003, MoMo ne défend pas un éventuel passeport africain mais le message universel des jeunes artistes. « Ici vous voyez une œuvre d'Ayana V. Jackson, explique Monna Mokoena. Elle est Américaine mais elle vit depuis sept ans en Afrique du Sud. La réflexion dans sa photographie contient à la fois l'histoire de la route de l'esclavage et ses liens vers l'Afrique. Mais en même temps, elle utilise une autre métaphore et une autre iconographie : les images de la guerre au Vietnam ou le lynchage des Noirs aux Etats-Unis pendant la ségrégation raciale. Le Congolais Sammy Baloji habite à Bruxelles. Il montre des atrocités que les Belges ont commis pendant la colonisation en Afrique. Sammy mixe ce sujet avec des paysages contemporains. Ainsi, il montre que jusqu'à aujourd'hui le pillage continue au Congo. Il regarde le passé et parle ainsi du présent. »
L'Afrique doit investir dans ses propres artistes Jusqu'à aujourd'hui, il n'y a aucune photographie africaine dans le Top 10 des photographies les plus chères, dominé par les Américains et les Allemands comme Cindy Sherman, Richard Prince ou Andreas Gursky. Une œuvre du dernier a été vendue le 8 novembre à New York pour 4,3 millions d'euros ! Rhein II (1999) est devenu la photographie la plus chère du monde. Quand le premier Africain entrera-t-il dans le Top 10 ? « Quand l'Afrique commencera à investir dans ses propres artistes et développera leurs valeurs pour obtenir ces prix-là, avance Monna Mokoena avec un grand sourire. Nous n'attendons pas que les Européens fassent ce travail pour nous. Nous, Africains, devons soutenir et obtenir ce niveau de prix. »
Seydou Keïta et Irving Penn A Paris Photo, les tirages africains les plus chers plafonnent entre 45 000 et 70 000 euros. C'est aussi le cas d'un très grand format de l'Odalisque, signé par le plus célèbre photographe africain, Seydou Keïta (1921-2001), exposé sur la cimaise de la galerie belge Fifty One Fine Art Photography. Son directeur Roger Szmulewicz soutient également des photographes contemporains comme le Ghanéen Philip Kwame Apagya, né en 1958, qui vit depuis deux ans aux Etats-Unis. Sur la cimaise, le petit format Deux femmes assises de Keïta affiche avec 13 000 euros un prix nettement inférieur à celui d'une photo « africaine » semblable d'Irving Penn (1917-2009) exposée à côté. Pourtant, pour Szmulewicz, il n'existe pas de fatalité pour que le prix d'un photographe africain reste toujours inférieur à celui d'un photographe occidental : « Ce n'est pas parce qu'ils sont Africains, c'est parce qu'Irving Penn a travaillé plus longtemps. Il a été plus longtemps sur le marché et il a travaillé pour des grands magazines comme Vogue, de très grandes galeries ont soutenu son travail. Mais je pense que, dans quelques années, Keïta sera au même niveau. » (MFI)