CINEMA | Aux Etats-Unis, “Zero Dark Thirty", film sur la traque de Ben Laden, est très critiqué. Andrew O'Hehir, journaliste américain, explique pourquoi. (Propos recueillis par Clémentine Gallot - Télérama n° 3284) « Les républicains sont furieux depuis le tournage de ce film sur la traque de Ben Laden car, au cours de ses recherches, le scénariste Mark Boal a reçu l'aide de la CIA et de l'administration Obama. Il est difficile de savoir précisément à quel type de documents Kathryn Bigelow a eu accès pour la préparation de Zero Dark Thirty (1). Mais la sortie a été repoussée après l'élection présidentielle à cause de la controverse. Pourtant, le film n'apporte rien d'inédit sur cette chasse à l'homme. Pour qui a suivi de près l'actualité, cela ressemble à du journalisme d'investigation. Contrairement aux craintes des conservateurs, Barack Obama n'est même pas dans le film, il n'apparaît que sur un écran de télévision. Mis à part le directeur de la CIA, interprété par James Gandolfini, on y voit peu de figures publiques, et on ne peut pas en déduire que le film soutient ouvertement la Maison-Blanche. Depuis la sortie, des critiques se sont aussi élevées à gauche, car le film s'ouvre sur une terrifiante scène de torture, dont l'issue n'est pas clairement expliquée. Faut-il montrer la torture, et, si oui, avec quelle mise en scène ? Bigelow présente les faits sans les condamner, ce qui ne signifie pas, à mes yeux, qu'elle justifie ces méthodes d'interrogation douteuses. Il est sain que la représentation de ces pratiques nous mette mal à l'aise, qu'elle nous force à affronter cette réalité. Zero Dark Thirty pose ainsi des questions pénibles sur ce que les Etats-Unis ont fait dans la “guerre contre la terreur" et aussi sur les efforts pour retrouver Ben Laden : cela en valait-il la peine ? La réussite artistique tient précisément à ce dilemme moral non résolu. Kathryn Bigelow et son scénariste, plutôt de gauche, restent pour l'instant prudents sur ces polémiques : je ne peux pas parler à leur place, mais j'imagine qu'ils plaident l'objectivité et cultivent l'ambiguïté. Bigelow est une cinéaste complexe : le discours politique de ses films, y compris Démineurs, résiste à toute simplification. » ¬ Andrew O'Hehir est critique cinéma et littéraire pour le site d'information américainSalon.com.