Mercredi 6 février 2013. Cette date restera, certes, gravée dans la mémoire collective des Tunisiens. Ceux qui se sont rassemblés en milliers à l'avenue Habib Bourguiba pour exprimer leur colère et leur mécontentement face à l'assassinat de Ckokri Belaïd, secrétaire général du Parti des Patriotes Démocrates Unifiés, et/ou ceux qui ont reçu la mauvaise nouvelle dès le matin. Adultes, jeunes et moins jeunes, acteurs de la société civile, avocats, universitaires, hommes de politique...étaient tous au rendez-vous, midi devant le ministère de l'Intérieur. Le Mot d'ordre a été donné deux heures avant, à la cité Ennasr, quand l'ambulance qui amenait la dépouille de Chokri Belaid se dirigeait vers l'hôpital Charles Nicolle pour qu'elle soit examinée par le médecin légiste. Entre-temps, la foule se rassemblait devant ce lieu symbolique qui a regroupé, le 14 Janvier 2011, des milliers de Tunisiens. D'ailleurs, les événements ne diffèrent pas beaucoup de ceux qui ont eu lieu il y a deux ans. Les mêmes slogans ont été affichés. Le mot « Dégage » a de nouveau été proclamé par les manifestants qui n'ont pas cédé « leur territoire » très facilement, malgré les maintes tentatives des forces de l'ordre de les faire disperser de la principale artère de la capitale étouffée par le gaz lacrymogène. Ironie du sort, d'ailleurs. L'horloge affiche 14 heures 30 quand les forces de l'ordre ont tiré leurs premiers coups de gaz lacrymogène. En ce même moment l'ambulance où se trouvait la dépouille de Chokri Belaid n'était pas très loin de l'avenue Habib Bourguiba. C'est à l'avenue Mohamed V, juste au niveau de la bâtisse de l'ex RCD, que le cortège du défunt se situait. Cela rappelle les mêmes événements qui ont eu lieu le 14 janvier 2011. Presque le même scénario. Un cortège d'un défunt, des tirs de gaz lacrymogène pour disperser les manifestants...Les Tunisiens sont-ils en train de revivre les mêmes histoires ? Il paraît que non. C'est pire même regrettent plusieurs acteurs de la société civile. « La Tunisie est déjà dans un bain de sang », déclare Maître Fawzi Ben Mrad. « Nous allons vivre la même époque que celle qu'a vécue l'Algérie lors des années 90 », ajoute Me Ben Mrad avec un ton très triste. « La Tunisie est aujourd'hui dans un tournant. Elle est au début d'une guerre civile », se désole l'avocat. Tournant décisif « Ce tournant décisif risque même de conduire la Tunisie à une catastrophe aux conséquences lourdes et destructives au vrai sens du terme que nous ne pouvons pas éviter », fait remarquer Chokri Ben Aissa, Directeur de l'Observatoire Tunisien de la Justice Transitionnelle. « Cet acte dépasse le volet politique parce que le crime a été accompli d'une grande précision avec un timing très particulier », selon le Directeur de l'Observatoire qui ajoute qu'il « s'agit d'une violence du terrorisme au vrai sens du terme et qui est même liée avec des éléments étrangers lesquels ont pour objectif de déstabiliser le pays ». « Il est vrai que la Tunisie se trouve aujourd'hui dans un tournant, mais le peuple doit se porter comme le premier et le seul garant contre toutes les tentatives de déstabilisation. Il doit s'auto protéger et prendre le devant de la scène des politiques », attire l'attention M. Ben Aissa qui devait courir pour ne pas être bousculé par la foule. Le gaz lacrymogène étouffait l'artère de la capitale. Echappant aux tirs et surtout aux odeurs asphyxiantes, les manifestants couraient vers les avenues et les ruelles perpendiculaires à l'avenue Habib Bourguiba. Mais ils ne quittaient pas facilement leur territoire. Ils ont fait preuve de résistance aux forces de l'ordre. Des flux et reflux au niveau de la Place Ibn Khaldoun, à l'avenue de Paris, à la rue de Marseille...Les interventions des forces de l'ordre se sont poursuivies jusqu'à la Place de la République, où ils ont eu recours aux tanks antiémeutes pour dissuader les jeunes manifestants de rester dans les parages et laisser passer le cortège de défunt. Mais ces derniers n'ont pas hésité à les contre attaquer, commettant des dégâts dans les biens publics et endommageant ainsi les feux de signalisation, les distributeurs de banques... La Tunisie s'est réveillée le 6 février 2013 sur un événement dramatique qui risque de nous faire plonger dans une phase sombre. Serions-nous capables d'éviter cette tournure fatidique ? Ferons-nous preuve de sagesse pour sauver ce qui reste de la Révolution Tunisienne ?