Wadjda, le premier film jamais produit et tourné en Arabie saoudite – où il n'y a ni salle de cinéma ni maison de production et où la liberté des femmes est inexistante -, on le doit pourtant à une femme de 39 ans, Haifaa Al-Mansour. Il est sorti le 6 février en salles en France. Mariée à un diplomate américain, Haifaa Al-Mansour a fait des études de cinéma en Australie. Sa passion du septième art, elle l'a découverte enfant en regardant des cassettes vidéo. Car si les salles de cinéma sont interdites en Arabie saoudite, les films peuvent circuler facilement en DVD ! « Mes parents rapportaient beaucoup de cassettes de vidéos, raconte la réalisatrice. Nous étions douze à la maison et on faisait la foire. J'ai grandi en regardant ces films. Rien d'intellectuel, des Bruce Lee, des Jackie Chan, des Disney, du cinéma américain ou égyptien car, à l'époque, c'était le seul cinéma arabe auquel nous avions accès. J'ai habité une petite ville et ces films me permettaient de voyager dans le monde. Mon univers familier était étriqué et le monde dans la télévision était si différent, si grand. De là vient ma passion du cinéma. » Le Saoudien est très conservateur Et c'est en retrouvant les émotions de l'enfance que son film touche juste. La trame est assez simple : Wadjda est une jeune fille de 12 ans qui aime porter des Converse et écouter du rock sur son walkman. Issue d'une famille de la classe moyenne, elle rêve de s'acheter un vélo, et va pour cela participer à un concours de récitation des sourates du Coran afin de remporter la récompense. Pourquoi la bicyclette ? « Je voulais reconstituer mon univers conservateur, mon école, ma vie et cette petite fille, affirme Haifaa Al-Mansour. Je voulais montrer la tension entre la modernité et la tradition. Le vélo représente la modernité, la vitesse, la liberté du mouvement, le contrôle de votre destinée. D'où je viens, cette tension entre le monde moderne et la tradition est particulièrement vive. Les gens n'en sont pas conscients, car, en même temps, notre société est riche. Nous avons des écrans plats, des bonnes voitures, des beaux immeubles, mais quand vous parlez à un Saoudien, vous vous rendez compte qu'il est très conservateur, fonctionnant sur un mode tribal. Je voulais montrer que cette modernité est possible. » Diriger les acteurs par téléphone Soutenue par le prince Al-Walid ben Talal, un membre progressiste de la famille royale, Haifaa Al-Mansour a pu tourner avec des acteurs saoudiens dans les rues de Riyad. Mais dans les quartiers les plus conservateurs, elle devait souvent se cacher de la population pour diriger ses acteurs. « Oui, on a tourné dans les rues de Riyad, c'était incroyable, explique Haifaa Al-Mansour. On a essuyé deux tempêtes de sable, on a dû fuir. C'était une expérience formidable. Bien sûr, il y a la ségrégation homme-femme dans ce pays. Les femmes ne sont pas supposées travailler avec des hommes en public. Je devais rester dans la camionnette et diriger les acteurs par téléphone. C'était difficile, mais, en même temps, c'était un défi créatif. Cela nous a mis une pression bénéfique. La petite fille devait bien connaître son texte. On répétait ensemble et on a pu construire une bonne relation de confiance. » Salué dans différents festivals, et notamment à Dubaï où cette œuvre féministe a reçu le Prix du meilleur film arabe, Wadjda ne pourra cependant pas être distribué en Arabie Saoudite, puisque les salles de cinéma sont interdites. Mais il pourra, comme d'autres films, circuler sous le manteau et peut-être contribuer à l'évolution des mœurs dans le Royaume. (MFI)