Un des acquis de la Révolution en Tunisie, la liberté d'expression et de la presse suscite encore le débat dans notre pays. Deux ans se sont écoulés depuis cette date historique, alors que nombreux sont ceux qui ne cessent de pointer du doigt les journalistes et de les accuser d'être contre le régime au pouvoir et/ou certaines personnalités publiques. Nombreux également, sont ceux qui oublient que la liberté d'expression et l'indépendance de la presse, tous genres confondus, sont indispensables pour le fonctionnement d'une vraie démocratie dans un pays qui a longtemps vécu sous la dictature d'un régime répressif. Comment donc, garantir la liberté d'expression ? Quels sont les outils les plus importants indispensables à la liberté d'expression et l'accès à l'information ? Ces questions sont évoquées depuis hier lors d'un séminaire organisé par le Conseil de l'Europe en partenariat avec l'Institut Arabe des Droits de l'Homme et l'Organisation Internationale de la Francophonie. Placé sous le thème « échange sur les garanties normatives et institutionnelles de la liberté d'expression », le séminaire a été marqué par la participation des experts nationaux et internationaux spécialistes dans le domaine de la liberté d'expression et de la presse qui sont le carrefour des autres libertés. Indispensable pour instaurer une vraie démocratie dans une société quelconque, la liberté d'expression et de la presse doit être garantie par la législation et les institutions indépendantes. Ce principe universel n'est pas facile à concrétiser, surtout dans un contexte où les intérêts politiques priment sur l'intérêt général. Reste que les instances concernées directement ou indirectement par cette question, doivent jouer leur rôle amplement pour permettre à tous les acteurs de s'exprimer librement. Ce droit doit être exprimé sans ingérence. Il s'agit, d'ailleurs, du principe de l'article 10 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme qui a été exposé par Jacqueline de Guillenchmidt, membre de la Commission de Venise. Présentant la jurisprudence de la Cour européenne, Mme De Guillenchmidt a précisé que la liberté de la presse est valorisée dans cette jurisprudence. Elle est même « le chien de garde de la société démocratique », signale Jacqueline De Guillenchmidt. « Elle est la pierre angulaire de la démocratie », enchaîne le membre de la Commission de Venise tout en ajoutant que « la liberté de la presse a un rôle essentiel dans l'animation du débat de la vie publique ». Communiquer librement Faisant une lecture dans la conception de la liberté d'expression, Mme de Guillenchmidt, considère que celle-ci se compose de deux éléments ou « composantes ». La première est active et la deuxième est passive. La composante active implique indispensablement « le droit de communiquer librement ». Pour ce qui est de la deuxième composante elle veut dire « le droit de recevoir des informations et des idées diversifiées ». Cette règle ou ce principe s'exercent dès lors « dans tous les secteurs qui sont d'ordre politique, culturel, artistique... ». Par ailleurs, le membre de la Commission de Venise a fait une lecture dans les restrictions dans le domaine de la liberté de la presse lesquelles ne doivent pas être appliquées de manière abusive ou arbitraire. « Elles doivent être admissibles, comme elles doivent obéir au principe de légalité », insiste Mme de Guillenchmidt. La HAICA Les normes garantissant l'exercice du droit à la liberté d'expression et de l'information ont largement été examinées lors de la première séance de la matinée d'hier. Dans ce contexte, Abdelakarim Hizaoui, Directeur Général du Centre Africain du Perfectionnement des Journalistes et des Communicateurs (CAPJC) a présenté les principales réalisations effectuées au profit du secteur depuis la Révolution mais qui tardent toujours à se concrétiser, dont la création de la Haute autorité indépendante de la communication audiovisuelle (HAICA). Le Directeur Général du CAPJC a parlé aussi de la Constitution tunisienne en cours de formulation et où l'on limite dans quelques articles et de manière expressive, la liberté d'expression. Cela se répercute certainement sur le citoyen qui sera privé de son droit à l'information. Ce n'est pas tout. M. Hizaoui a évoqué l'instance constitutionnelle qui verra le jour et qui risque de ne pas être indépendante. Les membres de ladite instance seront élus par les parlementaires, d'où le risque de veiller aux intérêts de quelques partis politiques et non pas à l'indépendance des médias. Nul ne peut nier que la qualité de la démocratie dépend de la liberté d'expression et des discours menés dans les espaces publics. Il importe dès lors de respecter les lois en vigueur lesquelles doivent être les moins répressives possible. « La restriction doit être adéquate et proportionnelle », insiste Joan Barata Mir, professeur à l'Université de Ramon Liull en Espagne. Il considère que « le pouvoir législatif doit choisir la mesure la moins restrictive possible parce que dans une démocratie, on doit donner plus de marge à la liberté ». « Et si les mesures de répression sont excessives, il y aura un grand risque d'autocensure », ajoute le Professeur Barata Mir. Certes, le débat sur les garanties de la liberté d'expression ne va pas s'arrêter en Tunisie incessamment. Car beaucoup reste à faire à ce niveau de part et d'autre. En fait, les professionnels attendent toujours la création d'une haute instance indépendante supposée réguler le secteur audiovisuel mais qui tarde encore à voir le jour.
Frank La Rue, Rapporteur spécial des Nations Unis pour la Liberté d'Opinion et de d'expression «La liberté d'expression ne doit pas être l'apanage de certains. Elle doit être exercée comme un droit collectif» Frank La Rue, Rapporteur spécial des Nations Unies pour la Liberté d'Opinion et d'expression a pris part aux travaux du séminaire. Objectif : donner son point de vue sur la question et apporter son savoir faire dans le domaine pour mieux assurer la liberté d'expression en Tunisie. Il considère dans ce cadre que « la liberté d'expression ne doit pas être l'apanage de certains. Elle doit être exercée comme un droit collectif ». « Ce principe universel s'exerce d'ailleurs à deux niveaux », explique le rapporteur des Nations Unies qui précise qu'il s'agit d'une part de l'accès à l'information et d'autre part du droit de parler ». Par ailleurs, M. La Rue a précisé qu'il n'y a pas de formule magique pour appliquer la liberté d'expression dans un pays ou un autre, mais il y a des principes universels à respecter. « Le défi, c'est comment les introduire », d'autant plus que le contrôle de la liberté d'expression risque de ramener la dictature.
A quand la création de la HAICA ? Tant attendue par les professionnels du secteur audiovisuel, la Haute autorité indépendante de la communication audiovisuelle (HAICA) tarde à naître. Aucune décision n'a été prise dans ce sens pour trancher cette question d'importance majeure et qui aura un impact sur le secteur. D'ailleurs, le président de la République n'arrive pas annoncer la composition de la HAICA. On parle même de blocage à ce niveau à cause de l'implication de quelques partis politiques qui veulent imposer leurs candidats, d'où le risque de manipulation de cette haute autorité.