La mémoire du 9 avril 1938 interpelle les consciences en même temps qu'elle fouette l'Histoire qui donne l'air de se prélasser avec délectation de ce qu'elle a rendu possible le 14 janvier 2011. Quel lien existe-t-il entre les deux événements appartenant à deux contextes différents, disparates ? Le lien ? Eh bien il est inscrit dans le cheminement dialectique de l'Histoire elle-même de la Tunisie. Du 9 avril 1938 jaillissait l'étincelle qui devait, dix-huit ans après, chasser le colonialisme. Du 9 avril 1938 partait aussi la grande course du Maghreb vers l'Indépendance, donnant forme à un patriotisme s'étant aussitôt mu en nationalisme à l'échelle arabo-musulmane. Le 14 janvier 2011, à son tour, donnait naissance au Printemps arabe, à une vaste opération de « décolonisation » contre les dictatures en place. A la chute de Ben Ali succédaient celle de Moubarak et Gueddafi et, peut-être bien, bientôt, celle des derniers bastions des dictatures arabes. Regardons, néanmoins, la vérité en face : Faisons-nous bon usage du legs du 9 avril 1938 ? Les forces jaillies après le 14 janvier 2011, dont principalement les partis de la Troïka, ne sont-elles pas enclines à un déni d'histoire, à une espèce de révisionnisme débridé et à une insidieuse récupération ? Que les forces religieuses fassent preuve de discernement dialectique ! Qu'ont-elles à prouver ? Ne savent-elles pas qu'en Tunisie, comme en Algérie, comme au Maroc et dans les pays du Golfe, la lutte contre le colonialisme sous-tendait aussi le fait religieux, l'impératif religieux puisque l'amour pour la patrie se nourrit aussi d'une mystique religieuse ? Dès lors, vaine sinon subversive, ou, simplement épidermique, serait une quelconque transposition de la mémoire des martyrs du 9 avril 1938. Ils ne nous pardonneraient pas d'être instrumentalisés à des fins politiciennes. Mais, ils ont encore un défi à relever : le sang versé, ce jour-là, n'en finira pas de cimenter les valeurs patriotiques et qui ne sont autres que les valeurs suprêmes de la nation. Aucun parti, aucun mouvement (religieux, laïc ou athée) ne sont en droit de s'approprier le sang des martyrs, versé dans la ferveur des incantations libératrices.