L'autre jour, sur un plateau d'Ettounssiya, Salma Baccar parla de ses nouvelles relations, désormais inamicales, avec la Ministre Sihem Badi ; mais elle se ravisa immédiatement pour plaindre celle-ci après la campagne dénigreuse qui la visa pendant plus de 15 jours. Notre députée artiste d'Al Massar, qui n'aime pas tirer sur les ambulances, se remémora le dicton tunisien célèbre que nous traduisons par cette formule : « Quand la vache est à terre, tout le monde sort ses couteaux », la grande curée quoi ! Bon ; passons sans commentaire sur le parallèle entre la vache et Mme la Ministre ; et demandons à Salma Baccar si l'Assemblée Nationale Constituante, qui en ce moment se donne en pâture à une bonne partie des Tunisiens, lui fait également pitié, comme Sihem Badi. D'ailleurs, les taquins sur face book appellent sérieusement, pour demain mercredi 1er Mai, à un rassemblement de protestation devant le siège de l'A.N.C.. Nous ne savons pas encore s'ils seront munis de couteaux pour dépecer les Constituants ou s'ils se contenteront de déchirer à mains nues le brouillon du « meilleur Destour au monde » ! Toujours est-il qu'ils sont loin de penser comme Salma Baccar à notre proverbe sur la vache et ses nombreux couteaux. Surtout que, dans un communiqué de samedi dernier, l'A.N.C. ne se laissa pas faire et répliqua violemment aux lazzis et aux critiques irrévérencieuses de ses détracteurs sur la question du projet de Constitution. Le ton du texte était également très menaçant pour rappeler aux railleurs les peines qu'ils encourent en snobant l'institution la plus légitime du pays . Pire encore, le document stigmatise ces calomniateurs en les accusant de vouloir « troubler l'allégresse du peuple tunisien » qui fête la « réalisation historique » de son honorable Assemblée Constituante ! Pour un peu, l'A.N.C. les condamnerait à la peine capitale pour « hérésie et sacrilège» ou bien pour crime de « haute trahison » ! Tout cela pour dire à Salma Baccar que son proverbe charitable n'a vraiment pas lieu d'être évoqué dans le cas de Mme Badi, ni dans celui de l'A.N.C. lesquelles ne se sont pas présentées en victimes expiatoires face aux coutelas de leurs « bouchers » présumés ! Rappelons aussi que lorsque certaines déclarations récentes de M. Moncef Marzouki avaient provoqué un tollé et des bravades aussi irrespectueux, la Présidence et son porte-parole sortirent leurs griffes et mirent en garde tous les « impertinents » qui narguent la plus haute autorité tunisienne ! Mamelles à l'abandon ! Pour être plus proche de la vérité, disons que s'il y a vraiment une vache à plaindre aujourd'hui, c'est bien la Tunisie. C'est elle qui est à terre et c'est autour d'elle que s'ameutent (sur invitation ou pas) les charognards de tous bords. Les larmes versées dernièrement par Mme Samia Abbou, en direct à la Radio, sont en principe dédiées à ce cher pays que d'aucuns tiennent à défigurer. « Vaut mieux tard que jamais », sommes-nous tentés de vous dire, Mme la Constituante ! Nous avons une belle grosse « vache » au lait si abondant et si nourrissant, mais apparemment, nous la trayons pour déverser ce lait dans les égouts de nos villes de plus en plus sales. C'est la mode aujourd'hui de jeter le lait par les cloaques crasseux ! Notre phosphate non plus ne nous profite plus ! La Tunisie est bientôt sevrée de cette mamelle si généreuse! C'est la faute de tous ceux que le dossier du Groupe Chimique Tunisien et de la Compagnie des Phosphates de Gafsa concerne de près. Il ne faut pas en imputer la responsabilité aux ouvriers seuls, au syndicat seul ni à l'Administration seule ! Et puis qui dit que tout ce cinéma habilement phosphaté n'est pas une manœuvre pour tendre la tétine à une gueule vorace venue d'ailleurs ? Et notre tourisme, n'est-ce pas un téton en danger ? Comment lui insuffler un lait nouveau ? Aux dernières nouvelles rapportées par Salma Baccar, le Ministre de la Jeunesse et des Sports a dernièrement refusé de verser une subvention de quelques dizaines de millions à la Fédération Tunisienne des Ciné-Clubs qui vient d'organiser, à Hammamet, et pour la première fois dans un pays africain et arabe, un congrès mondial auquel furent invités de nombreux hôtes étrangers. L'argument invoqué : les ciné-clubs (destinés prioritairement aux jeunes générations) ne sont pas l'affaire du Département de M. Tarek Dhiab ! Mme Baccar s'en prit également au Ministre du Tourisme qui aurait à son tour refusé de s'impliquer financièrement dans l'organisation de cette rencontre internationale d'exception, comme si les activités du Congrès ne s'inscrivaient pas dans ce qu'on appelle « le tourisme culturel » ! Vacheries de charognards ! Des voix s'élèvent un peu de partout aujourd'hui pour dénoncer des opérations de vente du pays, « parcelle après parcelle » pour reprendre les termes de l'économiste Achraf Ayadi qui nous prévient contre les conditions du Fonds Monétaire International pour accorder ses prêts à la Tunisie! Nous voudrions bien nous boucher les oreilles pour ne pas écouter ces Cassandres, mais elles sont si insistantes qu'elles en deviennent inquiétantes et nous forcent à leur prêter toute notre attention ! Il vaut mieux, en effet, que nous restions sur nos gardes pour au moins préserver quelques mamelles de notre tendre Vache laitière nationale. Autrement, elle est bonne pour l'abattoir et cela ne déplaît pas à certains vachers, locaux et étrangers, capables de toutes les… vacheries ! Notre mémoire de littéraire ressuscite, au sujet de ces misérables ingrats, un morceau de bravoure de Victor Hugo dans sa pièce de 1838, Ruy Blas. En voici un extrait à méditer : « Bon appétit ! Messieurs ! (…) Conseillers vertueux ! Voilà votre façon De servir, serviteurs qui pillez la maison ! Donc vous n'avez pas honte et vous choisissez l'heure, L'heure sombre où l'Espagne agonisante pleure ! Donc vous n'avez ici pas d'autres intérêts Que d'emplir votre poche et vous enfuir après ! Soyez flétris, devant votre pays qui tombe ! Fossoyeurs qui venez le voler dans sa tombe ! »