Les bons cinéastes on se les arrache et ce, quelles que soient leurs origines : tchadiens, gwatemalés, afghans ou iraniens, le cinéma occidental encourage les talents et le réalisateur Asghar Farhadi en est un. Après « Une séparation », film qui a séduit de par la qualité de sa mise en scène, Asghar Farhadi rejoint le cinéma international par la voie de la France qui lui propose un budget conséquent à son film « Le passé », projeté dans le cadre de la compétition officielle du 66ème Festival de Cannes. Tourné entièrement en France, « Le passé » met en scène la complexité des sentiments humains à travers l'histoire d'une séparation, encore une. Ahmad (Ali Moustafa ) arrive à Paris depuis Téhéran, à la demande de Marie (Bérénice Béjo), son épouse française, pour procéder aux formalités de leur divorce.Celle-ci veut en effet épouser Samir (Tahar Rahim), dont la femme est plongée dans un coma profond. Lors de son bref séjour, Ahmad découvre la relation conflictuelle que Marie entretient avec sa fille, Lucie. Les efforts d'Ahmad pour tenter d'améliorer cette relation lèveront le voile sur un secret du passé. C'est encore une fois l'histoire du triangle amoureux qui parait inévitable au cinéma mais ici Asghar Farhadi évite le côté social et politique pour plonger dans les sentiments humains en abordant la psychologie des personnages. Comme dans un thriller, le film est fait de rebondissements et de surprises, c'est ce qui retient inévitablement l'attention des spectateurs. Le mystère persiste tout au long du film. Pourquoi le couple s'est-il séparé ? Pourquoi la femme s'engage-t-elle avec un autre homme ? Cet homme est-il lui-même marié ? La psychologie chez Farhadi devient un véritable art du suspense. Sa méthode n'a pas changé même en France. La banlieue parisienne où il a tourné le film prend des allures d'un faubourg à Téhéran. Les acteurs sont transformés : Bérénice Béjo ressemble vraiment à une iranienne en exil. L'univers du cinéaste est le même, il n'a pas changé. Qu'il soit à Téhéran ou à Paris, l'introspection de l'être humain est marquée de sa pâte. Le mari, un revenant et la mère dans le coma du futur mari, une éternelle absente. Un confident et un fantôme. C'est entre ces deux témoins opposés, étrangers l'un à l'autre, que le drame se noue, se joue. La femme dans le coma se contente de peser, de loin, sur des vies que son geste a dévastées. Lui, au contraire, écoute les confessions des désemparés qu'il croise. Comme le héros de la célèbre pièce de Luigi Pirandello, Chacun sa vérité, il recueille des avis, des récits aussi confus qu'embrouillés et tente d'y voir clair. A son corps défendant, semble-t-il. On est dans le cinéma du doute, de l'« inquiétude morale ». Dans « A propos d'Elly », déjà, un groupe d'étudiants iraniens, plutôt bourgeois, plutôt aisés, était confronté à un dilemme moral — la disparition d'une femme — qui les mettait face à leurs responsabilités. Et dans « Une séparation », un simple geste — le héros avait-il provoqué la fausse couche d'une aide ménagère en la bousculant ? — finissait par détruire une famille, reflet d'une société en déliquescence. Ici, les personnages restent constamment à la merci de faits qu'ils ont ou croient avoir commis, d'actes qu'ils revendiquent ou qu'ils nient. Le drame vient de leur méconnaissance : la vérité, ils ne la connaissent que par bribes, et elle reste fluctuante, contradictoire quand ils croient se l'être appropriée. Depuis « Une séparation », Asghar Farhadi atteint les sommets en plaçant les sentiments au cœur de son oeuvre, sans jamais verser dans les clichés. Il filme avec pureté, le mal et l'innocence, au plus près du détail en allant à l'essentiel. On ne peut lui reprocher de faire du cinéma à l'occidental. Il reste iranien dans l'âme.