Les cinéastes français excellent dans leur façon d'aborder l'école. On se souvient encore d' « Entre les murs » de Laurent Cantet, Palme d'Or du festival de Cannes 2008. « Etre et avoir » de Nicolas Philibert est un documentaire tourné au fin fond de la France, dans la classe d'un instituteur en fin de carrière. Il s'agit d'une chronique des jours ordinaires pleine de sensations qui se transmettent d'une génération d'écoliers à l'autre. Il sera projeté dans le cadre du cycle de projections-débats « Vivre ensemble » à la Médiathèque Charles De Gaulle, le 20 septembre à 14h00 et sera suivi d'un débat sur le thème de « La rentrée scolaire ». Le thème essentiel d'« Etre et avoir » est l'éducation qui signifie formation, initiation à tout ce qui fait l'être, tout ce qui sera son bagage. Pour Philibert, raconter cette classe, c'est écouter les mots d'enfants, qui sont comme des échappées belles, mais aussi regarder comment on apprend à vivre ensemble, à travers des relations qui comptent : entre maître et élève, parents et enfant et, bien sûr, entre camarades de classe, tantôt amis, tantôt ennemis jurés ! Au fil de ces liens, le film nous met sur le chemin de l'existence, le cœur battant. Philibert a l'art de débusquer de grands sujets nichés dans les plus modestes aventures individuelles... C'est l'approche qui compte. Elle est d'une discrétion étonnante. Le cadre du film est tout juste esquissé. Dans un village auvergnat jamais cité, et jamais montré non plus, un car de ramassage scolaire roule sur une route enneigée. L'école, c'est une grille d'entrée, un coin de jardin entrevu et la salle de classe, que rien ne distingue de n'importe quelle autre salle de classe. A ce détail essentiel près : il s'agit d'une « classe unique », dernier recours, souvent, avant fermeture pour cause d'effectifs insuffisants. Ici se mêlent une douzaine d'enfants, tous âges confondus, dans un équilibre précaire, fruit du savoir-faire d'un « maître » qui, dans le meilleur des cas, joue à longueur de temps les funambules du savoir. D'évidence, le cas de figure décrit par Philibert est un « meilleur des cas » : l'instit, dont on n'apprendra qu'incidemment le nom, « M. Lopez» a trente-cinq ans d'expérience qui pallie tout et une réelle aptitude à appliquer des règles plutôt traditionnelles sans jamais paraître passéiste. « Etre et avoir » est un huis clos entre un maître qui a une réponse à tout et quelques gosses qui en attendent encore plus y compris d'apprendre à grandir. Les parents ? Sauf en deux occasions, ils resteront invisibles. Hors champ. Hors sujet. C'est que Nicolas Philibert a délimité au plus serré son terrain d'investigation. Le film s'enrichit de tout ce que le documentariste a élagué, épuré. Chaque plan compte, chaque séquence sert à éclairer l'ensemble d'une lumière magnifiquement juste et contrastée. La tonalité, sans cesse, varie, comme l'humeur des protagonistes. D'une bagarre à la récré entre deux « grands » (10 ans), Julien et Olivier, l'instit tire une prévisible leçon de morale, mais celle-ci, loin de clore le débat, ajoute au trouble des gamins. Ça ne se dit pas. Ça se voit. Ça ne s'explique pas. Ça se ressent. La caméra de Philibert est en phase constante avec ses «personnages ». Exploration tout en finesse, pudique et douloureuse, s'il le faut, quand le désarroi déborde. Jamais le cinéaste ne dramatise, mais il distille les sentiments, tamise les événements et accumule les situations avec un sens dramaturgique imparable. « Etre et avoir » est un film d'une simplicité lumineuse, dont le centre de gravité est cet instit qu'on aimerait avoir eu, et autour duquel tournent comme ils peuvent des enfants anxieux ou curieusement désaccordés, butés ou ouverts, rieurs, secrets, timides, que nous avons tous été plus ou moins. On a souri de leurs naïvetés charmantes, on s'est émus de leurs maladresses.