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W... la maîtresse et Ali le petit Prince
La chronique de Youssef SEDDIK
Publié dans Le Temps le 25 - 04 - 2013

Il y a de quoi écrire des milliers de pages au sujet de ceci que je m'apprête à vous raconter. Des milliers de pages, croyez-moi, dans tous les types du savoir, littérature, droit, socio, psycho et même des livres d'enfants pour initier au genre thriller et autres “ chair de poule “, avant de les laisser fréquenter au grand jour le terrifiant Stephen King.
Il était une fois ?… Mais non ! Les faits se passent maintenant, à un jet de pierre de chez vous, et continueront demain à se passer et à nous passer sous le nez : comme tous les jours, Ali (10 ans) est déposé par l'un de ses parents à l'entrée de l'école. La classe se met en rang, et W… la maîtresse donne l'ordre de pénétrer dans la salle après avoir cherché en vain le prétexte (chahut bien audible, geste effronté ou mise suspecte) qui lui aurait permis de retarder la redoutable épreuve de commencer le cours. Tout cela est vieux comme l'école, et chacun de nous, les Anciens et les moins vieux (comme les parents d'Ali) savent combien nous avons redoublé de talent de comédiens pour déjouer cette mauvaise foi de nos instits, en faisant les angelots impeccables, droits comme des i, le menton affermi et relevé, le rire serré au plus profond du gosier, nous promettant en un choeur intime et silencieux de faire à nos guises une fois la porte de la classe close et le maître (ou la maîtresse) qui le mérite isolé des cerbères de l'autorité administrative.
W… porte le khimar, mais ce n'est plus la peine d'en faire mention, à présent que le pudique chignon d'antan qui choque! Nombreux sont les gamins et les gamines qui se sont lassés de s'interroger pour deviner laquelle de ces deux modèles de dames, leur propre maman ou l'institutrice, mériterait le Paradis, tant le contraste est tranché… Mais voilà que W… remue le couteau dans la plaie :
- Vous savez, les enfants… J'ai fait, hier, un songe ! Dieu m'a élevé au septième Ciel et Il m'a présenté notre prophète Muhammad, Dieu le bénisse et lui accorde le Salut !….
Et de surveiller la trentaine de paires de jeunes lèvres si l'une d'elles aurait omis de reprendre au moment la formule accompagnant forcément toute citation du prophète.
- … Vous savez, Il (Dieu, bien sûr !) m'a fait visiter le Paradis, à ma demande, puis l'Enfer… J'ai vu dans la Géhenne des suppliciés qui buvaient encore là-bas du vin… Allez, dépêchez-vous, à vos cahiers, et que ça saute !
Chic alors, le cours commence. Ce n'est jamais tard pour mieux faire. Le cours en question : “ Education “ civique et religieuse. L'épreuve de la tombe !
- Nul ne doit oublier tout au long de sa courte vie sur cette terre éphémère de témoigner que Dieu est un et que Muhammad, Dieu le bénisse et lui accorde le Salut, est Son prophète et Son Envoyé. Quand l'inéluctable fin arrive, est dès que les siens l'iront abandonner seul dans la tombe, deux anges robustes, effrayants et noirs se dressent à son chevet de part et d'autre de sa dépouille, et lui posent la question : “ Mais qui est donc ton Dieu et Maître, toi l'humain insignifiant ? “. S'il répond correctement que son seul Dieu est Allah et que Muhammad, etc., l'air se rafraîchit autour de lui et son âme se libère de sa captivité souterraine. Par contre, malheur à lui s'il change une seule lettre à ce que je viens de vous dicter… Les deux anges lui assènent un terrible coup de massue qui l'enfonce au septième sous-sol de la planète, et il en sera ainsi, jusqu'au jour de la Résurrection et l'ultime Jugement où il passera aux vraies affres du Feu éternel !
La page de la leçon une fois noircie, la sainte maîtresse promet aux plus studieux de ses élèves :
- Celui qui apprendra au mieux son cours aura bonne récompense, divine récompense, j'entends ! (ajrun min ‘ind rabbî) !
Fini le bon vieux “ bon point “, image ou sucrerie bien de notre monde. Finie aussi la pédagogie de Saint-Ex, notre voisin mécréant du Nord, celle ou le Petit Prince se contente de demander aux grandes personnes de lui “ dessiner un mouton “, et de s'en aller rêver dans sa minuscule planète à lui, son étrange dessin en main. Rêver que “ l'essentiel est invisible “. Bien avant de grandir à son tour et de cesser peut-être de rêver à autre chose qu'à une vie moins dure. A moins que la folie s'empare de son imagination et qu'il ne songe, comme sa maîtresse d'école, jadis, de Dieu l'élevant au septième Ciel !


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