Après le rassemblement qui a eu lieu au cœur de l'avenue Habib Bourguiba, plusieurs centaines de manifestants se sont dirigés vers la Place du gouvernement sise à la Kasbah. Arpentant les ruelles et les artères principales, un exode humain pressa le pas là où se tiendra dans peu de temps le fameux discours du Chef du gouvernement provisoire, Ali Laarayedh. Sous le soleil de plomb, l'euphorie et l'enchantement d'il y a deux ans a cédé la place à la haine, à la colère et au désarroi total. Le petit doigt bleu fier et heureux était en ce 23 octobre 2013, crispé et nerveux tenant à la main des banderoles dont seuls les messages illustrent ces deux années de galère et de grosses déceptions. «Hâtons-nous vers la Kasbah !» Le rendez-vous qui était donné midi par les forces démocrates devant la Bonbonnière et le ministère de l'Intérieur a rassemblé des milliers de personnes. Sur place, deux heures plus tard, ce beau monde a décidé de partir vers la Place du Gouvernement pour accueillir Ali Laaraydh avec le célèbre «Dégage» et tenter d'envahir le Premier ministère. A partir de 14h les gens commençaient à affluer et à entourer la Place. Le dispositif sécuritaire pour dissuader tout débordement était énorme. La présence policière était massive. Les agents de l'ordre encerclaient les lieux et empêchaient les manifestants de dépasser les grillages. La tension était à son accoutumée au rendez-vous. Les policiers tenaces et patients laissaient les protestants crier leur haine. Sur place, jeunes et moins jeunes, lycéens, septuagénaires et adultes, femmes et hommes ont envahi les marches de la Place de la Kasbah. Ils revendiquaient la démission immédiate du gouvernement provisoire actuel et dénonçaient les actes terroristes aussi bien que les crimes politiques et la cherté de la vie dont selon eux, seul le gouvernement est responsable. Les messages des manifestants étaient clairs et illustraient la haine qui s'est généralisée dans le pays depuis les assassinats politiques et les actes terroristes dont font l'objet notre appareil sécuritaire sans que le gouvernement prenne des décisions radicales et ouvre une lutte acharnée contre ce fléau qui en passe de devenir un phénomène quotidien ! «STOP ! Game Over», «Ennahdha veut faire de la Tunisie un nouveau Afghanistan au cœur du grand Maghreb», «Vous voulez la politique, nous voulons notre pays», «Nous nous insurgeons non contre l'Etat mai contre ceux qui ont insulté l'Etat» ou encore «J'appelle à la dissolution d'un gouvernement qui n'est plus légitime». A ces images-là se rajoutent la plus grande tare dont est accusé le parti Ennahdha, celle d'être la complice du terrorisme : «Ennahdha et le terrorisme : deux facettes d'une seule personne», «Gouvernement illusoire, partez !», «Dégage la mafia du Jihad Nikeh et du terrorisme». A cette kyrielle de messages, s'ajoutaient les portraits des leaders politiques assassinés : Chokri Belaid et Mohamed Brahmi rappelant ainsi « l'incompétence » du gouvernement et son incapacité à cerner les meurtriers depuis de longs mois d'enquêtes. Un septuagénaire brandissait fièrement, malgré la chaleur infernale, une pancarte dans laquelle il soutient «le syndicat national de la sûreté intérieure contre le gouvernement terroriste». La politique de la Terre brûlée 16h, le discours attendu du Chef de gouvernement provisoire n'a toujours pas eu lieu. Les nerfs se tendent. En sueur et déterminés, les manifestants s'aspergeaient d'eau et criaient leur haine face à un gouvernement qui a dépassé de loin sa légitimité en termes de temps et d'actions. Le dialogue national ne pouvait, bien évidemment, pas commencer attendant le discours d'Ali Larayedh. La rue s'enflamme et la tension monte en crescendo. Cette dernière atteint son point culminant quand la nouvelle tomba : 6 de nos agents de l'ordre viennent de trouver la mort à Sidi Bouzid suite à une opération anti-terroriste. Au berceau du soulèvement populaire, les temps sont durs. A la Kasbah, les policiers étaient frustrés, tendus, attristés, endeuillés mais demeuraient fidèles aux postes. La colère et la haine gagnèrent la foule qui tenta d'envahir le Premier ministère. Un mouvement de foule et de panique générale s'est fait pressentir. Indignés, les protestants qui s'attendaient à ce que les forces de l'ordre agissent à cette nouvelle mais qui demeuraient malgré tout imperturbables, contenant mal leur colère, ils jetèrent sur eux des bouteilles d'eau pour les provoquer. Une vague humaine se forma. La situation a été rapidement contrôlée par le dispositif policier sans qu'il y ait d'attaques ou d'emploi de la violence de part et d'autre. Entre temps, le discours ne venait toujours pas. Les journalistes étaient restés coincés plus de deux heures à attendre vainement. Des rumeurs circulaient disant qu'il est possible que le Chef du gouvernement annule carrément son discours. La nervosité gagna les journalistes qu'on ne laissa pas partir et qu'on retint afin de couvrir une conférence de presse qui n'a toujours pas lieu et qui demeurait assujettie aux désirs du parti au pouvoir et de la mouvance de la rue. Pendant ce temps-là, la Tunisie fait son deuil à d'autres agents des forces de l'ordre. Sixautres héros et intrépides morts sur le terrain pour protéger leur pays d'un spectre qui viole son armée, sa sécurité et ses politiques. Ce nouveau paysage sanglant en l'espace d'une semaine, ouvre une nouvelle ère de la politique de la terre brûlée. Les images deviennent banales, les nouvelles ne choquent vraiment plus. Là est le vrai danger : habituer le citoyen à la violence aux scènes de meurtres, aux images tâchées de sang et l'habituer à la peur. Aujourd'hui, l'on parle de policiers ou d'agents de l'armée abattu par des terroristes comme s'i l'on parlait d'un fait divers ! Là est le véritable danger ! Le commencement de la fin si les Tunisiens, les politiques et l'appareil sécuritaire ne s'allient pas contre cette vague, ce petit pays saura aux mains de comploteurs machiavéliques. En attendant, le dialogue national n'a pas eu lieu. Le discours du Chef du gouvernement provisoire, n'as pas eu lieu non plus et les protestants, à l'écriture de ces lignes, disent passer la nuit et ne plus quitter la place jusqu'à la démission du gouvernement.