A l'occasion de la rentrée politique nous avons entamé une série d'interviews des personnalités politiques et des observateurs de la scène politique (le TEMPS du Lundi). Aujourd'hui notre invité est Larbi Chouikha, enseignant-chercheur à l'Institut de Presse de Tunis depuis 1983 il s'est toujours investi pour la défense et la promotion de la liberté d'expression. Militant à la Ligue Tunisienne des Droits de l'Homme et vice-président de sa section de Tunis-Banlieue Nord, militant à la section Tunisie d'Amnesty international, journaliste-chroniqueur à Attariq al jadid et collaborateur dans des publications scientifiques étrangères.M.Chouikha nous parle ici de la rentrée politique , de l'opposition ,des réformes à entreprendre et d'autres questions. Interview.
Le Temps : Comment évaluez-vous la rentrée politique de cette année ? Larbi Chouikha: Je ne sais trop ce que « rentrée politique » recouvre, ici. En tout cas, je constate que les années se succèdent et se ressemblent, et souvent, dans une morosité ambiante. On dirait que nous sommes condamnés à ne pas connaître d'évènements politiques majeurs faits d'enjeux électoraux, de rebondissements, de suspens, de compétitions ...et surtout, quand des évènements surviennent - à l'instar de ceux qui se sont produits à la fin 2006 mais aussi, de bien d'autres...-, face à eux, nous sommes particulirement désemparés pour en débattre entre nous parce que nous ignorons souvent tous les éléments qui les constituent et sommes parfois obligés de prêter l'oreille aux rumeurs les plus fantaisistes en l'absence de canaux de communication crédibles
. Comment expliquer cet état ? - Les raisons sont nombreuses et disparates : Tout d'abord, le contexte politique n'incite plus les individus à s'y investir. Le débat d'idées s'appauvrit de plus en plus et les partis politiques se débattent dans d'innombrables querelles intestines qui reflètent souvent la crise de crédibilité qui les frappe de plein fouet, alors que d'autres qui ont pignon sur rue sont mis en quarantaine. L'activité syndicale souffre aussi d'une grave désaffection dont les causes sont en grande partie imputables à la fois à la gestion syndicale et au contexte national. L'université tunisienne a perdu de son éclat de jadis, et de l'enthousiasme et de l'effervescence d'antan succède la démotivation et la routine d'aujourd'hui....
. A votre avis, quelles sont les causes de la faiblesse de l'opposition? - Tout d'abord, une précision d'ordre sémantique : Qu'entendons-nous par « opposition » ? Soit, des autorités de négation réellement autonomes qui disposent de moyens et de capacités à se déployer librement, à agir sur les évènements, à défier les pouvoirs en place, à éclairer les opinions,..., soit, des formations clientélistes qui ne tirent leur existence et leur statut que par le profil qu'elles adoptent ? En fait, ce qui m'afflige davantage c'est cette discrimination que j'observe dans les faits entre, citoyens qualifiés de « bons », et des citoyens qualifiés de « mauvais » ... Il faut donc préserver les valeurs liées à l'intérêt général du pays en évitant cette confusion entre, droits et gratifications, et admettre que les principes, dés lors qu'ils sont édictés, doivent s'appliquer à tous, sans exception aucune.
. D'après-vous, quelles sont les réformes à entreprendre pour assainir la situation politique? - Elles sont nombreuses et touchent tous les domaines. Mais tout d'abord, il faut réhabiliter la confiance entre nous - sans exception - en nous débarrassant des sentiments de méfiance et d'appréhension qui imprégnenent souvent les rapports entre les acteurs politiques de tous bords et en apprenant à cohabiter avec nos différences, voire même nos divergences mais dans le respect scrupuleux de chacun. Nous avons accumulé à travers notre longue histoire séculaire, d'importants acquis faits de réalisations, d'expériences, de conditions,... qui ont enfanté autant de valeurs dans lesquelles nous nous abreuvons tous : la raison, la tolérance, l'esprit d'ouverture, le bon sens, le bon discernement,... sont des vertus partagées par tous mais qui ne peuvent se déployer et s'éclore en toute liberté en l'absence de conditions propices. Et dans cet ordre d'idées, je reste persuadé que la persistance du blocage se répercutent sur le débat public, sur les rapports gouvernants-gouvernés, et je sais que ce sentiment est partagé par des franges de l'élite dirigeante. A titre comparatif, il est frustrant de constater que, les élites des pays de la région suivaient avec intérêt les prémices de l'ouverture politique en Tunisie avec l'avènement des premiers partis d'opposition, elles nous enviaient même pour la liberté de ton et de défiance dont faisaient preuves certains de nos titres, disparus depuis, alors qu'aujourd'hui, nous soyons tous acculés à examiner leurs scrutins électoraux, à analyser leurs évolutions politiques, à suivre les prestations des leaders de leur opposition et les réponses de leurs dirigeants politiques par le truchement de leurs chaînes satellitaires de télévision, à jauger l'état de leur liberté de la presse à travers leurs titres, quand ils nous parviennent... Pourtant, la situation économique et sociale dans notre pays n'est pas si défavorable comparativement à celle qui prévaut dans ces pays, L'Etat dispose d'appareils et d'institutions bien ancrés dans la société et il n'existe pas à ma connaissance de menaces pesantes sur la sécurité de notre pays et de nos institutions et le tissu social, ethnique, brille par une certaine cohésion. En conséquence, ce qui manque aujourd'hui, c'est la réhabilitation de la confiance en soi et entre nous, en vue de permettre aux Tunisiens d'agir en citoyens libres et responsables.
. En conséquence, que proposez-vous ? - S'il existe une réelle et ferme volonté politique de créer un nouvel élan dans le pays, trois mesures urgentes méritent à mon sens d'être impulsées aussitôt : - Tout d'abord, à propos du dossier de la LTDH, il convient d'admettre que la persistance de l'état de pourrissement dans lequel se trouve enlisée la Ligue, aujourd'hui, n'est de l'intérêt de personne, y compris des irréductibles de part et d'autres. Il importe donc de faire appel à l'intelligence et à la raison pour trouver coûte que coûte une solution à ce dossier. Pour ma part, un premier pas pourrait déjà être franchi en permettant à ses adhérents tous confondus de se réunir - en toute quiétude et sans entrave - dans ses locaux en vue de débattre librement de toutes les questions jugées épineuses. - Ensuite, il importe de donner une grande impulsion au secteur des médias en stimulant davantage toutes les initiatives et en encourageant la saine compétition entre elles. Pour ma part, à propos de l'autorisation de publication telle qu'elle est énoncée dans l'article 13 du Code de la Presse, je proposerais la suppression pure et simple de la procédure administrative du récépissé telle qu'elle est en usage actuellement, en s'en remettant effectivement au régime déclaratif. Pour ce qui est du secteur de l'audiovisuel, il est primordial qu'une instance de régulation - autonome et crédible - y voie le jour afin d'apporter plus de transparence, de justice et d'égalité entre tous les citoyens... .Je persiste à croire que notre pays recèle autant d'atouts favorables pour l'impulsion d'une véritable transition démocratique pacifique, et que nous sommes plus à mêmes d'apporter un cinglant démenti à tous ceux, en Occident, qui doutent de la réussite d'une expérience démocratique pluraliste en terre arabo musulmane !
. Comment évaluez-vous la formation des journalistes, aujourd'hui ? - Celle-ci est intimement liée aux conditions d'exercice du métier et du contexte général dans lequel cette profession se meut et se déploie. Vers la fin des années 1970, avec l'apparition des titres indépendants puis de ceux de l'opposition, les débats contradictoires dont ces publications s'en faisaient l'échos, avaient suscité des vocations parmi les étudiants qui ambitionnaient de devenir des journalistes talentueux - et d'ailleurs, plusieurs d'entre eux font carrière dans les grandes chaînes de télévision dans le monde -. Les formateurs à l'époque, s'imprégnaient largement de cette ambiance journalistique et politique marquée par l'audace et la liberté de ton, et pour illustrer leurs enseignements, ils recouraient souvent aux exemples tirés de la presse et ils conviaient même les auteurs dans leur cours pour aller au contact de ces étudiants. Il y a donc une interaction très prononcée entre les schèmas qui président à la formation et l'environnement politique et journalistique dans lequel se déploie cette formation. Aujourd'hui, l'impression qui se dégage c'est que l'esprit critique s'est éteint et avec lui, l'imagination, l'émulation et la créativité. Interview réalisée par Néjib SASSI
Les partis politiques se débattent dans d'innombrables querelles intestines qui reflètent souvent la crise de crédibilité qui les frappe de plein fouet, alors que d'autres qui ont pignon sur rue sont mis en quarantaine.
Il faut donc préserver les valeurs liées à l'intérêt général du pays en évitant cette confusion entre, droits et gratifications, et admettre que les principes, dés lors qu'ils sont édictés, doivent s'appliquer à tous, sans exception aucune.
Il importe de donner une grande impulsion au secteur des médias en stimulant davantage toutes les initiatives et en encourageant la saine compétition entre elles.