Y a-t-il une recrudescence de la violence policière depuis quelque temps et en tous les cas depuis la multiplication des actes de terrorisme ? Peut-on vraiment établir le lien entre celle-ci et la tendance des agents de l'ordre à devenir plus enclins à user de la violence, tous azimuts ? La plupart des observateurs et membres de la composante civile semblent préoccupés par cette question, d'autant qu'on signale de plus en plus des cas de violence policière à l'occasion de certaines récentes affaires telles que celle du blogeur Aziz Amami, inculpé d'usage de stupéfiants et qui affirme avoir été agressé par les agents qui l'ont interpellé, et qui semblaient lui en vouloir de prime abord. « Reporters sans frontière » a pour sa part déploré l'agression des journalistes par les agents de l'ordre, le mardi dernier 27 mai devant le tribunal de première instance de Kasserine, où se déroulait le procès de Issam Amri, accusé d'avoir incendié un poste de police au cours des manifestation, durant la Révolution en 2011. Par ailleurs une journaliste à RTCI aurait été violemment agressée lors du même procès à Kasserine par un agent de l'ordre qui l'aurait giflée au point de lui crever le tympan, alors qu'un autre journaliste qui appelait à soutenir l'accusé en question aurait été roué de coups par des policiers, au point de perdre connaissance, suite à quoi il a été hospitalisé et sa caméra de valeur aurait été détruite, toujours selon « Reporters sans frontières » qui dénonce ses débordements de la police. Il y aurait également des avocats qui ont été violentés et agressés par des agents de l'ordre lors du procès, dont un menacé de mort par un agent de l'ordre au sein même de la salle d'audience ! Ce genre de violences s'est perpétué à plusieurs reprises, à l'instar des agressions subies par des journalistes, lors de la manifestation de soutien à Aziz Amani, devant le ministère de l'Intérieur. Deux parmi ces agents ont été entendus par le juge d'instruction le 20 mai dernier. Etat d'urgence oblige.... ? La violence légitime est selon Max Weber nécessaire à la protection de l'institution étatique. Toutefois le rapport qu'envisage le sociologue entre légitimité et légalité de la violence, laisse la porte ouverte à un débat sans limite, étant donné cette difficile équation entre le caractère impératif de la loi et les actions qui diffèrent selon les cas. Il y a de ce fait silence de la loi devant des cas qu'il revient à la seule police de gérer par des mesures d'urgence que le droit ne peut qu'habiliter. Le policier est dans ces cas précis seul habilité voire requis pour y faire face par l'exercice de la violence légitime. Comment voulez-vous que la police riposte face à un terroriste, armé jusqu'aux dents, et décidé à attaquer ? En fait l'usage de la violence par un policier est souvent dans le but de faire asseoir sa légitimité. Dans ce cas elle est plutôt du domaine de la vigilance. Evidemment un policier ne se comportera pas de la même Toutefois cette violence peut tourner parfois à la bavure et c'est là où le bât blesse. Car le concept de la bavure est restreint, car il ne provient pas seulement du caractère illégitime de la violence, mais d'action sur le terrain. Au cours d'une enquête, un policier peut recourir à la violence laquelle peut tourner à la bavure, lorsque le policier enquêteur se laisse aller en faisant usage de la torture. Le recours à la torture serait également fréquent pendant les gardes à vue dans certains postes de police ou dans certains centres de détentions, même quand il s'agit de délinquant primaire. Ce serait le cas dans l'affaire Walid Denguir qui présente des zones d'ombre, le jeune homme en question a trouvé la mort lors de sa garde à vue au poste de police. En effet, alors que selon le porte parole de l'union syndicale des forces de l'ordre, a souligné qu'il n'a pas fait l'objet de torture et qu'il serait mort par overdose, l'avocate et militante des droits l'homme Radhia Nasraoui, affirme qu'il est mort, sous la torture et que son corps présente des traces de violence. Les violences policières entraînant des bavures restent nombreuses dans le monde, à l'instar des Etats-Unis d'Amérique, où les cas de torture entraînant la mort des intéressés, ont été recensés à une moyenne de 365 cas par an de 2003 à 2005 par exemple. Durant l'ancien régime en Tunisie les cas de tortures policières entraînant la mort sont nombreux aussi bien sous Bourguiba que sous Ben Ali. Par ailleurs, les policiers peuvent recourir à la violence pour empêcher un meeting, une grève ou une manifestation. Ce qui peut tourner à la bavure même lorsque la manifestation est autorisée. Durant l'ancien régime les débordements ont abouti aux évènements que le pays a connus le 26 janvier 1978, ou durant les émeutes du pain en 1984. Sous Ben Ali il y eut des débordements, lors des manifestations des ouvriers du bassin minier de Jérissa en 2008 et finalement celui de décembre 2010 qui a été le prélude à la Révolution, laquelle s'est soldée par des morts et des blessés à la Capitale comme à différentes régions du pays, suite au tirs des policiers sur les manifestants à bout portant, et sans sommation. Qui a donné l'ordre de tirer ? Question qui reste toujours sans réponse malgré le fait que certains hauts responsables du ministère de l'Intérieur sous Ben Ali, ont été jugés et condamnés cependant à des peines de principe. Les familles des victimes n'en reviennent pas tellement les condamnations n'étaient pas à la mesure des accusations dont ces responsables ont fait l'objet. C'est en quelque sorte une légitimation de la violence, puisque ces derniers n'ont pas été relaxés mais bel et bien déclarés coupables pour la plupart. Hier aujourd'hui....et demain ? Devant une situation où il s'agit de répondre à la violence par la violence, celle-ci devient légitime par rapport aux policiers. Certes il faut saluer le courage et la vaillance dont fait preuve les agents de l'ordre et dont certains ont payé de leur vie, face aux actes terroristes que ce soit au mont Chaâmbi ou dernièrement à Kasserine lors de l'attaque du domicile du ministre de l'Intérieur, un acte lâche odieux. Il faut rendre hommage également à tous ceux qui ont défendu le pays avec détermination et courage ainsi qu'à leurs familles. Ces mêmes agents de l'ordre étaient également décidés d'affronter Abou Yadh alors qu'il se trouvait à la Mosquée El Fath en plein centre ville, mais ils ont hélas reçu l'ordre de laisser partir le terroriste, par crainte d'effusion de sang. C'est ce qui a été d'ailleurs confirmé par Taoufik Dimassi, ancien responsable sécuritaire au ministère de l'Intérieur, lors de son passage mercredi dernier dans une émission télévisée sur l'une des chaînes de la place. Il aurait ainsi agi sur ordre de ses supérieurs, pour éviter la violence. Quid cependant des policiers qui n'hésitent pas à recourir à la violence sans attendre de recevoir des ordres de leurs supérieurs hiérarchiques ? Pourtant le ministre de l'Intérieur a diffusé plusieurs circulaires afin de demander aux agents des forces de l'ordre, de respecter le travail des journalistes. Reporters sans frontières compte suivre ces dossiers d'agressions policières qui semblent se multiplier. Au nom de la vigilance, et en réponse à la recrudescence des actes de terrorisme ? La réponse à cette question est autant difficile que nuancée, car il s'agit surtout de faire la part des choses, sans amalgames ni emportements pour des causes ou des intérêts personnels. Seul compte l'intérêt général, lequel ne peut être préservé sans le respect des droits et des libertés publiques. Et Reporters sans frontières de conclure : « Le sentiment d'impunité qui règne dans les rangs des forces de l'ordre ne disparaîtra que si la Justice condamne ces débordements. Les effets d'annonce ne suffisent plus, il faut désormais adopter des sanctions exemplaires. » D'ailleurs les derniers évènements de Kasserine, au cours desquels le domicile du ministre de l'Intérieur a été la cible, et qui se sont soldés par des morts et des blessés dans les rangs des agents de l'ordre, laissent coi, surtout quand on apprend que les agents qui ont été alertés ont mis du temps pour venir, alors que le district de la Garde nationale est à quelques mètres du lieu où les fâcheux évènements se sont déroulés...... Concernant les violences policières, Lotfi Ben Jeddou, ministre de l'Intérieur, ainsi que Hafedh Ben Salah, ministre de la Justice seront auditionnés par l'ANC, le 3 juin prochain. Reporters sans frontières appelle les membres de l'ANC à faire preuve de détermination pour lutter contre les agressions policières et de combattre toute atteinte à la sécurité publique ou privée. Il est important surtout d'œuvrer à une réforme substantielle de l'appareil sécuritaire en tant que structure de base nécessaire à assurer la paix publique, dans le pays, ainsi que le respect des droits et des libertés.