Près de 24 ans derrière les barreaux, entre la Belgique et les Etats-Unis. Condamné pour un projet d'attentat contre une base militaire, extradé vers Washington puis acquitté, l'ex-footballeur tunisien Nizar Trabelsi devenu djihadiste est aujourd'hui de retour à Bruxelles. Les autorités veulent l'expulser vers son pays d'origine, mais ses avocats, plusieurs ONG et même un juge américain alertent sur un risque de torture s'il rentre en Tunisie. D'un terrain de football à la cellule d'isolement Né en 1970 à Sfax, Nizar Trabelsi a connu une brève carrière professionnelle footballistique en Allemagne avant de sombrer dans l'islamisme radical. Comme le rapporte Pascal Martin dans le journal luxembourgeois Virgule, sa trajectoire bascule après 1995, sur fond d'excès et de consommation de cocaïne. Le 13 septembre 2001, deux jours après les attentats du 11-Septembre, il est arrêté à Uccle, près de Bruxelles. L'enquête belge révèle alors un projet d'attentat-suicide contre la base belgo-américaine de Kleine-Brogel, dans le Limbourg. Le plan consistait à faire exploser une camionnette piégée à l'heure de pointe dans la cantine, pour tuer un maximum de soldats américains. Cette base est régulièrement soupçonnée d'abriter des armes nucléaires, sans confirmation officielle. Lors de son procès, M. Trabelsi reconnaît avoir rencontré Oussama Ben Laden en Afghanistan et avoir été désigné comme kamikaze, avant de se rétracter en qualifiant ces aveux de « faux et improbables ». En 2004, il est condamné à dix ans de prison pour planification d'attentat, détention illégale d'armes et appartenance à Al-Qaïda.
L'extradition controversée vers les Etats-Unis
Alors qu'il purge sa peine en Belgique, les Etats-Unis réclament son extradition, estimant qu'il doit répondre de « tentative d'assassinat d'Américains à l'étranger ». Le dossier se heurte au principe juridique du non bis in idem, qui interdit qu'une personne soit jugée deux fois pour les mêmes faits. Comme le rappelle Elena Louazon dans le journal français Le Monde, ce principe est inscrit dans la Convention européenne des droits de l'homme et constitue une protection fondamentale contre les abus judiciaires. En 2008, la justice belge et la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) interdisent provisoirement l'extradition. Mais fin 2011, le ministère belge de la Justice cède aux pressions américaines. Le 3 octobre 2013, Nizar Trabelsi est envoyé aux Etats-Unis et ce après avoir purgé toute sa peine en Belgique. Clairement, l'Etat belge a violé sa propre justice et l'ordonnance de la CEDH.
Dix ans d'isolement et un acquittement surprise Aux Etats-Unis, Trabelsi passe dix ans dans des conditions décrites par ses avocats comme « inhumaines » : isolement total, détention en sous-sol, absence de contact avec sa famille, lumière permanente, surveillance vidéo continue. Des méthodes que ses défenseurs dénoncent dans plusieurs audiences. En juillet 2023, contre toute attente, un jury fédéral américain l'acquitte, estimant que les preuves sont insuffisantes ou douteuses. « Innocent, enfin, après 22 ans », déclare-t-il alors, cité par Virgule. Mais la liberté ne suit pas : il est transféré dans un centre pour immigrés en situation irrégulière en Virginie où il reste deux ans.
Le casse-tête judiciaire belge Depuis son acquittement, les décisions de justice en Belgique s'enchaînent. La cour d'appel de Bruxelles condamne à plusieurs reprises l'Etat belge à solliciter son retour, allant jusqu'à imposer une astreinte de 15.000 euros par jour pour inaction. Les juges soulignent que l'extradition de 2013 n'aurait jamais dû avoir lieu. Le 8 août 2025, sous la pression judiciaire belge, Nizar Trabelsi est enfin rapatrié à Bruxelles. « À son arrivée à l'aéroport, l'ancien détenu s'est dit ''soulagé'' », selon ce que rapporte Le Monde. Sauf que son cauchemar n'est pas fini. Il est immédiatement placé en centre fermé, faute de nationalité belge ou de titre de séjour valide. Le ministère des Affaires étrangères envisage un retour en Tunisie, où il a été condamné par contumace en 2005 à vingt ans de prison par un tribunal militaire pour appartenance à un groupe terroriste.
Le spectre d'une expulsion vers la Tunisie C'est ici que le dossier se complique encore. L'arrêté d'extradition signé en 2013 entre la Belgique et les Etats-Unis interdit explicitement toute ré-extradition vers la Tunisie, au motif qu'il pourrait y subir des traitements inhumains ou dégradants. Sur la chaîne publique belge RTBF, son avocate Delphine Paci affirme qu'un renvoi coûterait 500.000 euros à l'Etat belge (1,71 million de dinars) et violerait ses obligations internationales. Elle s'appuie sur des décisions antérieures : en 2005 et 2011, la Belgique avait déjà refusé les demandes tunisiennes pour cette raison. Les inquiétudes sont partagées par plusieurs voix. L'avocat et ex député Samir Ben Amor, cité par Virgule, estime que « les personnes soupçonnées dans des affaires de terrorisme peuvent être soumises à la torture » en Tunisie. Un juge américain avait, quelques mois plus tôt, considéré ce risque comme réel, fermant la porte à une extradition vers Tunis. Amnesty International, via son spécialiste de la Tunisie Andrea Maurano, prévient que la situation politique depuis 2021, sous les pleins pouvoirs de Kaïs Saïed, accentue ces dangers potentiels. Ces propos restent toutefois des évaluations et non des constats avérés. Ils reflètent l'analyse de juristes, d'ONG et de magistrats étrangers, mais ne constituent pas des preuves formelles de violations systématiques.
Une impasse politique et diplomatique 24 ans après son arrestation, Nizar Trabelsi reste un dossier explosif. La Belgique ne peut légalement le renvoyer en Tunisie sans enfreindre ses engagements internationaux, mais elle rechigne à l'accueillir durablement sur son sol. L'opinion publique voit en lui un ex-djihadiste, même acquitté, dont la présence est politiquement difficile à justifier. Comme le souligne Le Monde, ce dossier illustre les tensions entre sécurité nationale, respect de l'Etat de droit et obligations internationales. Pour certains, il est la preuve qu'un Etat démocratique doit appliquer ses principes même envers les criminels ou présumés criminels. Pour d'autres, il est l'exemple d'un système qui protège trop ceux qui ont voulu le détruire. Pour M. Trabelsi, l'enjeu est désormais clair : éviter un retour en Tunisie, retrouver son épouse à Bruxelles et obtenir un statut légal. Pour la Belgique, l'équation reste insoluble : aucune issue ne semble préserver à la fois la légalité, la sécurité et l'image politique du pays. Une image déjà bien ternie, avec une extradition en violation des décisions de justice, d'autant plus aggravée que le suspect a été acquitté par la justice américaine après dix ans d'emprisonnement sur son sol.
Maya Bouallégui
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