En 2012 et en 2013, Ennahdha fut le parti le plus contesté ; le mouvement de Rached Ghannouchi essuya les plus graves accusations et les diatribes les plus violentes ; on ne se retint pas du tout de désigner du doigt certains de ses dirigeants comme commanditaires de diverses opérations terroristes perpétrées dans le pays. A l'époque, Ennahdha ne craignait pas d'affirmer ses sympathies pour des formations islamistes extrémistes dont Ansar Chariâa ou salafistes comme Hizb Attahrir qui pouvaient constituer à toute heure, et au besoin bien sûr, de solides alliés contre les détracteurs des « faucons » nahdhaouis Ghannouchi, Lâarayedh, Atig, Bennani, Ellouze et autres Sadok Chourou et Habib Khedher ! Mais il y eut des poussées fortes de la Gauche et de la société civile, il y eut aussi l'émergence d'un rival sérieux incarné par Nida Tounès ; ce qui progressivement, mais relativement vite, contraignit Ennahdha et ses alliés de la Troïka à battre en retraite et à concéder du terrain à l'Opposition, reconnaissant en même temps quelques unes de leurs grossières erreurs et certains de de leurs choix stratégiques désastreux. A la fin 2013, Ennahdha quitta le Gouvernement et la Tunisie se dota d'une équipe dirigeante plus ou moins neutre, en dépit des suspicions qui accompagnèrent la désignation de Mehdhi Jomâa et de ses ministres. Et depuis des mois maintenant, on entend les leaders nahdhaouis tenir un discours très modéré, on les a vus fêter l'indépendance du pays, se « réconcilier » avec des azlem notoires et traiter pacifiquement voire amicalement avec le concurrent numéro 1, à savoir Nida Tounès et son maître incontesté Béji Caïed Essebsi. En tout cas, jusqu'à une date récente, les observateurs les plus perspicaces ont noté avec satisfaction le changement de discours et de ton au sein d'Ennahdha et l'on commença à rêver d'une métamorphose salutaire pour le pays et susceptible de lui faire éviter définitivement les scénarios sanglant libyen, syrien ou même égyptien. Ali Lâarayedh refait surface Mais aujourd'hui, et après une période d'accalmie au terme des cent premiers jours de Gouvernement Jomâa, on constate qu'Ennahdha revient sur la sellette et essuie de nouveau les attaques de toutes parts, notamment après les attentats meurtriers contre l'armée, la police et la Garde nationale. On accuse de nouveau le premier grand parti islamiste tunisien d'avoir couvert les mouvements jihadistes, de leur avoir créé des cadres d'action bien protégés, de les avoir soutenus dans leur « guerre » contre Bachar Al Assad en Syrie, et même dans leur jihad contre les hommes de la sûreté nationale. Et cela fait quelques jours maintenant que les hommes marquants d'Ennahdha reviennent sur scène pour tenir un langage le moins qu'on puisse dire violent et menaçant : tout récemment en effet, Ali Lâarayedh l'ex- chef du Gouvernement, s'en est pris à l'opposant de gauche Tahar Belhassine (propriétaire de la chaîne de télévision Al Hiwar Ettounsi), l'accusant d'incarner la police parallèle agissant au Ministère de l'Intérieur et dans le cadre des syndicats de la police. Tahar Ben Hassine s'en est d'abord ironiquement défendu, mais nous avons lu sur l'un de ses posts sur face book qu'il craint de voir les remontrances d'Ali Lâarayedh se transformer en arrêts de mort implicites ! Et Ben Hassine d'évoquer l'assassinat du militant Chokri Belaïd, précédé lui aussi de critiques acerbes et d'accusations directes émanant du même Lâarayedh contre le leader du Watad. Ali Lâarayedh fut, il y a deux jours, l'invité de Samir El Wafi sur Ettounssiya et revint sur la « fuite » d'Abou Iyadh de la Mosquée El Fath de Tunis et en fit porter la responsabilité à certains hommes de la police qui étaient sur les lieux ; continuant sur sa lancée, Lâarayedh accuse des syndicalistes de la Sûreté nationale de perturber le travail des services sécuritaires du pays. Il va encore plus loin et prétend avoir été une des cibles des attentats terroristes de la période où il était Ministre de l'Intérieur et plus tard Chef du Gouvernement. Ali Lâarayedh défie enfin quiconque d'aller le plaindre en justice s'il détient la moindre preuve accablante contre lui durant sa direction du Ministère de l'Intérieur et du Gouvernement. Le syndrome Bennani Dans le même temps, Walid Bennani, un des hommes forts d'Ennahdha à l'Assemblée Nationale Constituante (ANC), se rebiffe à son tour, principalement suite au dernier attentat terroriste visant la résidence de Lotfi Ben Jeddou à Kasserine. Bennani ne fut pas très bien reçu dans son propre fief kasserinois et des opposants de la gauche locale lui imputèrent une part de responsabilité dans l'expansion du terrorisme dans la région. Nous apprenons par ailleurs que le dirigeant nahdhaoui compte porter plainte contre ces agresseurs et également contre Walid Zarrouk le syndicaliste sécuritaire connu, pour diffamation et rumeurs infondées. Samedi dernier, un communiqué d'Ennahdha condamne les appels au meurtre (lancés, dit-on, par des membres de partis dont on ne précise pas le nom), et qui viseraient Walid Bennani et également le Président Marzouki ainsi que le Cheikh Rached Ghannouchi. Tout cela pour dire qu'Ennahdha est en ce moment entre deux feux : si ce mouvement tient à se faire réélire au prochain scrutin avec une marge aussi confortable qu'en 2011, ce n'est pas du tout en reprenant le langage de la violence et de la menace ; il a par ailleurs intérêt à rassembler ses partisans plus effrités que jamais. La marche de protestation contre le terrorisme à Kasserine ne rassembla qu'une poignée de sympathisants, ce qui en dit long sur la popularité bien entamée d'Ennahdha et de ses figures de marque ! Sahbi Atig, invité sur un plateau de Nessma, n'osa pas condamner le contrôle illégal de certaines mosquées du pays et de son quartier (Cité Attadhamen à Tunis) par des intégristes extrémistes. Il est revenu à un discours conciliant qui appelle au dialogue avec les prédicateurs fondamentalistes qui, à ses yeux, sont moins dangereux que les jihadistes du mont Châambi! Mais le contexte régional autorise Ennahdha à sortir la tête de l'eau, car l'espoir est permis pour les islamistes du Maghreb de marquer de nouveaux points et de porter des coups sérieux à leurs adversaires locaux ou internationaux. Un été explosif A quoi donc se préparent Ennahdha et les mouvements islamistes de notre pays et du Maghreb ; en Libye, la situation est explosive. La Tunisie est plus que jamais menacée sur ses frontières avec le voisin du Sud ; des attentats terroristes commandités depuis le sol libyen furent déjoués in extrémis, il y a moins de dix jours ; des experts du Haut Commissariat international aux réfugiés sont en Tunisie pour assurer l'accueil sur nos terres de nouvelles vagues de réfugiés Libyens en cas de nouveaux troubles armés sur leur territoire. L'été tunisien, libyen et peut-être aussi algérien sera très chaud ! Et alors que d'aucuns se préparent aux élections, d'autres plus sceptiques commencent à en désespérer, du moins pour 2014. A qui profitera l'été chaud de cette année ; certainement pas au tourisme tunisien ! En revanche, le terrorisme local, régional et international peut en tirer parti ; dans la mesure où chez nous du moins on ne s'y oppose pas avec la fermeté et le sérieux requis : toujours pas de vraies stratégies antiterroristes, encore et toujours des frappes sur le mont Châambi que l'armée prétend contrôler totalement, aucune mesure sérieuse contre les associations suspectes, au financement occulte et à la vocation jihadiste quasiment confirmée; encore des mosquées (60 d'après les chiffres du Ministère des Affaires religieuses) qui échappent au contrôle de l'Etat ; toujours et encore un Ministère de l'Intérieur « infiltré » et des soupçons sérieux sur la neutralité politique de certains hauts cadres qui y exercent. Dans ce décor très fragile, Ennahdha et les mouvances islamistes apparentées ou plus radicales voient venir et en fonction des rapports de forces intérieurs et régionaux, ils affinent leurs projets d'avenir en vue de prendre ou de reprendre le pouvoir, après la relative débâcle des rebelles jihadistes en Syrie, et la mise à l'écart des Frères musulmans en Egypte ! Le mystère reste entier d'autant plus que le rival Nida Tounès vit dans la tourmente ces derniers jours ; et si ce parti se disloque, on ne voit pas d'autres partis qu'Ennahdha pour en bénéficier !