L'art de l'esquive bien intégré, Ansar Charia après avoir été frappé d'interdit, change de nom. Selon des chercheurs américains, Ansar Charia Tunisie s'appelle désormais «Chabab Attawhid » ; Les jeunes de l'unicité. Dans un article portant le titre « La jeunesse de l'unicité, nouvel accoutrement d'Ansar Charia Tunisie », publié le 9 mai par The Washington Institute, l'information est révélée et étayée. C'est le 28 août, pour rappel, que le gouvernement tunisien a annoncé le classement du groupe jihadiste Ansar Charia comme organisation terroriste. Ce qui induit qu'appartenir à ce groupe, participer à ses activités, contribuer à son financement constituent un crime aux yeux de la loi. C'est Lotfi Ben Jeddou, ministre de l'Intérieur, qui s'est chargé de faire cette déclaration conséquente quant à la lutte contre le terrorisme. Depuis, les drapeaux noirs, emblème de l'organisation, se sont faits plus discrets dans la capitale et les grandes villes. Cela ne veut pas dire pour autant que les disciples d'Abou Iadh, expatrié, lui, depuis quelque temps en Libye, ont arrêté toute activité. Leurs pages sur les réseaux sociaux continuent de prospérer. Dans les régions isolées et les zones rurales, loin des regards, les missionnaires de la Charia poursuivent leur besogne sur le terrain. Les actions caritatives, missions prédicatives et campagnes de sensibilisation n'ont jamais cessé. Aaron Zelin, l'auteur en question de l'article du Washington Institute, centre de recherche qui fait autorité dans ces questions, précise que cette «mutation aura des implications importantes pour les efforts visant à lutter contre les djihadistes tunisiens et leurs associés en Libye». Sous ce changement d'identité, les actions du groupe terroriste ont repris de plus belle, sur le Net d'abord, apprend-on. Le 4 mars, précisément, a été créé un nouveau média sur Internet appelé Jeunesse croyante des médias. «Chabab attawhid lil âlam ». Une plateforme qui ne cesse d'exprimer son soutien indéfectible à l'Etat islamique en Irak et au pays du Levant ! Ce support se charge également de diffuser des informations sur Ansar Charia Tunisie, traduit des documents de l'anglais vers l'arabe et publie des informations sur les «combattants étrangers et tunisiens» en Syrie. Le tout assorti de messages de solidarité et de vœux de victoire à l'adresse des groupes jihadistes, «Daech» entre autres. Se déployer sous un écran de fumée Très consultée, la page de la jeunesse croyante publie également et en exclusivité la production de Abou Saâd Al Amili, théoricien jihadiste du Net, grand défenseur et conseiller de Ansar Charia Tunisie depuis leur création il y a trois ans. La production du nouveau porte-parole de Ansar Charia Tunisie, le fameux Saifeddine Raïes, est également publiée en exclusivité et régulièrement. Il est à noter que le groupe des jeunes du Tawhid a fait une percée publique en postant le 19 avril la vidéo montrant le diplomate tunisien Mohammed Benshikh, enlevé en Libye le 21 Mars. Après la publication de la vidéo, les comptes Twitter et Facebook ont été fermés. Aaron Zelin précise à cet égard « qu'il semble que les membres de la jeunesse de l'unicité en Libye ont participé à des opérations et des enlèvements. Alors que la section tunisienne joue davantage un rôle logistique de reconstruction et maintenance des différentes branches à travers la Tunisie ». Intéressant à noter également, l'article cite par les noms une série de villes tunisiennes, telles que Dougga, Médenine, Jemmel ; d'établissements éducatifs ; de sites universitaires, telle la faculté de Médecine de Sfax, et de mosquées, à l'instar de la mosquée Bilal à Gafsa où Ansar Charia sous sa nouvelle identité est en train de se redéployer. Un maillage étoffé à l'échelle nationale, comme ce fut le cas pour le groupe « Ansar Charia avant la chute du gouvernement », compare l'auteur ; pour ajouter « il semble qu'Ansar Charia Tunisie a trouvé une voie alternative pour étendre son réseau en dépit de l'interdiction ». Parallèlement, les connexions avec les homologues libyens ne sont plus à démontrer. Ce qui prouve, conclut l'auteur, «que les moyens pacifiques ne peuvent que porter leurs fruits avec ce genre d'organisations qui comptent des adeptes dotés d'une grande patience et capacité d'organisation ». Une déflagration médiatique Face à l'analyse américaine, nous avons pris contact avec le spécialiste tunisien des mouvances jihadistes, professeur Alaya Allani, lequel confirme à son tour la donne, en affinant l'analyse par l'exemple tunisien : « Les médias sont le nerf de la guerre de ces mouvances, leur tactique habituelle est donc de convaincre les gens qu'ils existent toujours, ont surmonté les épreuves et sont opérationnels. Leur reconversion était tout à fait prévisible. J'étais en Irak, ajoute M. Allani, tous les jours on entend parler de nouveaux groupes jihadistes. Certains sont fictifs, mais d'autres sont réels. Parfois une seule organisation se fait fractionner en quatre filiales pour donner l'illusion d'une force perdue. Pour le cas tunisien, c'est ce qui nous intéresse, spécifie le spécialiste, il faut savoir que l'infrastructure jihadiste a été démantelée depuis longtemps. Mais ils veulent la faire renaître par la propagande. Deuxièmement, il faut savoir qu'il y a deux types de jihadistes : certains ont bel et bien déserté. Ansar Charia qui comptait environ 5000 volontaires ne compte pas plus que 1500 à 2000. Pour réembaucher, il faut donner l'impression que l'organisation est présente sur le terrain sous une nouvelle identité, Chabab Attawhid, en l'occurrence. Objectif, récupérer les déserteurs et retenir ceux qui restent. Le noyau dur, ceux que j'appelle les têtes brûlées qui doivent être quelque centaines, estime M. Allani, représentent un danger réel, et ne peuvent se résoudre à ne pas exister. Donc, cette nouvelle mutation, tout en étant une manœuvre connue, est davantage un phénomène médiatique bien plus qu'une réalité tangible. Les transformations régionales ne permettent plus un grand redéploiement des groupes radicaux, notamment si la situation se stabilise en Libye. Il faudra ajouter que les mouvements fréristes vivent dans une situation très inconfortable, que dire alors des groupes jihadistes ?», s'interroge M. Allani en concluant. La question qui s'impose, les autorités tunisiennes sont-elles au courant de ce nouveau déguisement ? Ont-elles pris les mesures adéquates à l'encontre de cette organisation terroriste qui avance masquée ? Quant au profond malaise des mouvements islamistes dans toute la région, il trouve son explication dans l'échec avéré de l'islam politique. C'est la grande leçon du Printemps arabe. Nous y reviendrons.