Richard III, court circuit de Jaafar Guesmi a été présenté avant-hier au public d'Hammamet. Cette nouvelle adaptation du drame historique de Shakespeare, évoquant les rouages de la tyrannie, joue sur les effets de lumière pour mettre en exergue la noirceur du personnage principal et mélange l'arabe littéraire et le tunisien courant, amplifiant ainsi la béance du gouffre qui existe entre le despote et ses victimes. Le roi sanguinaire qui s'arroge un pouvoir absolu et arbitraire, n'est plus désormais propre à une Angleterre du 16ème siècle, mais un archétype politique et social qui trouve parfaitement sa place dans nos sociétés contemporaines. Shakespeare est marqué par son temps, mais c'est aussi un moderne. Si l'on doit retenir un grand nom de la littérature anglaise de cette période de la Renaissance tardive, c'est évidemment Shakespeare qui vient immédiatement à l'esprit du fait de cette modernité : il est toujours joué dans de nombreux pays, dans de nombreuses langues, et il continue d'enthousiasmer le public tunisien. Shakespeare passe encore en Tunisie pour un auteur difficile et intellectuel ce qui est une erreur car Shakespeare n'est pas allé à l'université contrairement à d'autres. Le théâtre de Shakespeare n'est nullement réservé à une élite. Avec Richard III, Shakespeare offre une réflexion aiguë sur la soif du pouvoir, sur les ressorts de la vengeance, sur les conséquences de la difformité physique, ainsi que sur les réactions, celles des autres personnages, mais aussi les nôtres, face à la complexité et à l'ambiguïté du mal. Caïn tuant son frère Abel, Richard III assassinant à tour de bras tous ses rivaux potentiels, voilà où mènent la soif du pouvoir absolu, la jalousie et l'envie. Un décor simple mais d'une grande efficacité, un jeu de lumières qui va de la seule servante à une profusion de néons en passant par le bleu éclatant contribuent à faire de " Richard III" un spectacle singulier sans extravagances parfaitement abouti. Jaafar Guesmi a su mettre en valeur la pertinence du drame shakespearien dans l'évocation du drame qui se joue sur nos terres depuis quelques décennies. N'est-on pas en effet familiarisé avec le spectacle donné par les membres d'une même famille qui s'entretuent pour le pouvoir ? L'actualité brûlante des derniers jours et celle des trois dernières années d'une manière plus générale malheureusement nous prouvent que cette pièce n'a pas pris une seule ride et que Guesmi avait bien raison de l'adapter. La pièce bouscule la trame historique dans un décor et une mise en scène qui soulignent le contraste de deux extrêmes : lumière et obscurité, blanc et noir, bien et mal. Le jeu des comédiens a été poignant et émouvant : Manel Ferchichi, Jaafar Guesmi, Rabii Ebrahim, Assem Bettouhami, Sahbi Omar, Fatma Felhy, Khaled Ferjani, Sameh Toukabri, Gouider Nabila,et Bilel Slatnia . On est pris par l'histoire et c'est essentiel; on ressent la peur des dominés, la douleur des veuves...La musique accompagne la pièce de manière juste, installant un climat grave et sombre. En somme, une très bonne adaptation d'une grande pièce.