La toute récente photo de famille prise par les têtes de liste d'Ennahdha ne laisse pas indifférent. Elle montre une soixantaine de candidats rangés et bien arrangés d'une manière vraisemblablement étudiée. Nos commentaires porteront entre autres sur leur aspect vestimentaire, mais nous retiendrons également les détails physiques à notre sens significatifs et bien d'autres éléments révélateurs de la photo. Commençons néanmoins par la disposition des membres du groupe, lesquels sont répartis sur quatre rangées correspondant à autant de marches du perron où ils ont été photographiés. Au premier rang, on ne voit que trois hommes au milieu d'une dizaine de femmes : Abdelfattah Mourou arbore son plus large sourire et affiche une sérénité presque insolente. A sa droite, Abdelhamid Jelassi est tout aussi à l'aise tandis qu'à sa gauche, Mohamed Frikha semble coincé au double sens propre et figuré de l'adjectif. Ses mains maladroitement ballantes dénotent la gêne où l'homme d'affaires se trouve entre Mourou et une « minuscule » constituante de l'Assemblée nationale constituante. Quelque chose dans son maintien trahit l'inconfort certain où le met sa première expérience politique avec le parti de Rached Ghannouchi. Ladies first ! En ce qui concerne les femmes et les filles sur la photo, il y a lieu de constater qu'une seule d'entre elles ne porte pas le foulard. Néanmoins, elles mettent toutes de très longues robes, ou des tailleurs qui couvrent jusqu'à leurs chaussures. Aucun cou ni bras nus; à peine distingue-t-on les doigts de leurs mains. Leur mise est plutôt simple, sans recherche, ni détails voyants ; parfois même franchement inélégante ; en revanche, elles paraissent plus décontractées que certains « mâles » sur la photo. Elles ont entre 20 et 40 ans, et pour la plupart, ont dépassé largement la trentaine. On n'oubliera pas de souligner la présence parmi elles d'une candidate très brune, presque noire : c'est une originalité notoire par rapport à l'écrasante majorité des autres listes électorales. En effet, il est extrêmement rare de voir nos compatriotes de couleur figurer parmi les décideurs dans les hautes sphères politiques du pays. Manifestement, la participation de cette candidate noiraude n'est pas due au hasard ; tout comme le fait de reléguer les « hommes » de la liste au troisième rang derrière les femmes. Ennahdha à qui l'on a auparavant reproché sa tendance à la discrimination sexuelle cherche à se rattraper quelque peu ; d'ailleurs lors de la conférence de presse sur les têtes de liste nahdhaouies, Abdelhamid Jelassi est revenu plus d'une fois sur certains choix « féministes » de son mouvement et a mis l'accent sur le taux de participation féminine très proche de celui des hommes. Tous égaux ! Parlons maintenant de ces derniers : du point de vue vestimentaire, ils sont quasiment tous habillés à l'occidentale. Abdelfattah Mourou mis à part, tous les autres sont en costumes-cravates (ils sont plutôt minoritaires) ou en chemise et pantalon. Les barbus sont très rares sur le cliché. Pour ce qui est de leur répartition sur les marches de l'escalier, elle ne tient aucunement compte de leur notoriété, ni de leur rang à l'échelle du parti ou de la vie politique nationale. Par exemple, l'ancien Ministre des transports, Abdelkrim Harouni est à peine visible au milieu d'autres candidats anonymes. A propos d'ex-ministres justement, il n'est pas inutile de remarquer que sur les dix annoncés comme têtes de listes, seuls deux sont parmi les candidats photographiés : nulle trace par exemple de Noureddine B'hiri, ni d'Ali Lâarayedh, tous deux pourtant présents au point de presse. Des clichés et des calculs Il se peut que notre lecture de la photo de famille nahdhaouie soit excessive ou franchement erronée dans ses interprétations ; cependant quand on sait qu'Ennahdha gère bien ses services de communication et cherche –surtout après l'expérience de la Troïka- à se relooker et à renvoyer aux futurs électeurs ainsi qu'aux « observateurs » étrangers l'image d'un parti islamiste modéré, enraciné dans son patrimoine culturel ancestral, mais en même temps ouvert sur le monde moderne, favorisant les processus démocratiques en son sein et dans ses projets de gouvernance du pays. Ennahdha s'efforce aussi de faire oublier les erreurs du passé, comme l'affirme Abdelfattah Mourou, de montrer aussi que la relève est assurée dans le parti lequel mise sur un assemblage harmonieux entre ses colombes et ses faucons., La photo de famille prise lundi dernier renferme également le message suivant : Ennahdha est un parti d'hommes et de femmes modestes, proches du peuple, intègres, sans excès d'aucun genre ! En somme, le cliché s'inscrit dans une opération de séduction légitime ; mais qu'en sera-t-il des autres démarches prévues pour la campagne électorale : que va promettre Ennahdha pour effacer les mauvais souvenirs laissés par sa Troïka ? Le « maquillage » de circonstance que le parti entreprend en son sein suffira-t-il pour garantir la victoire aux prochaines élections ? Est-il vrai, comme veulent le laisser entendre les hauts cadres d'Ennahdha, que la sérénité règne parmi ses membres et ses partisans ? La toute dernière démission enregistrée à Enfidha n'entraînera-t-elle pas une cascade d'autres défections ? Quel impact le voyage de Ghannouchi en Algérie peut-il avoir sur les résultats des élections de l'automne prochain ? Le Cheikh Rached a été reçu quasiment en chef d'Etat ; bien des clichés sont publiés pour délibérément mettre en valeur cet accueil exceptionnel d'un président de parti. Ces photos-là se présentent déjà, à notre avis, comme d'excellents arguments en faveur d'Ennahdha dans sa nouvelle course au pouvoir ! Merci Bouteflika, doivent se dire les Nahdhaouis les plus perspicaces !