Les Etats-Unis viennent de consentir une nouvelle aide à la Tunisie dans sa lutte contre le terrorisme : soixante millions de dinars et des équipements adaptés à ce genre de guerre ! Nous ne pouvons pour le moment évaluer l'apport de cette aide, même si l'enveloppe offerte par les Américains nous semble très modeste par rapport aux besoins de notre armée et des autres forces sécuritaires engagées dans le combat anti-terroriste. Cependant, il y a lieu de remarquer que la contribution américaine est venue avec un peu de retard et qu'elle coïncide avec les interventions militaires des States contre Daech en Irak et en Syrie. C'est que trois ans après avoir vanté « le printemps arabe » et la prospérité que les « révolutions » de 2011 promettaient aux peuples du Maghreb et du Moyen-Orient, nos « amis » yankees se sont aperçus d'une déviance gravissime dans le processus de changement provoqué : alors qu'ils misaient sur l'arrivée au pouvoir dans ces régions de dirigeants islamistes modérés, le cours des événements y a favorisé et précipité la montée en puissance de l'intégrisme jihadiste. L'exemple le plus édifiant est donné par la Libye où la chute de Kadhafi ne fit qu'embraser le pays et instaurer l'anarchie des milices rivales. Revirement tactique ou stratégique En Syrie et après avoir soutenu, financé et armé la « rébellion » contre Bachar Al Assad, les U.S.A. et les autres puissances occidentales comme La France, la Grande-Bretagne et l'Allemagne se retournent aujourd'hui contre leurs alliés d'hier. Les Américains survolent déjà, paraît-il, le sol syrien pour localiser les zones occupées par les jihadistes de l'Etat islamique, tandis que les Allemands se disent prêts à coopérer avec le régime de Bachar en vue de frappes militaires décisives contre les combattants de Daech. En Irak, les Etats-unis sont déjà intervenus et ont à plus de vingt reprises bombardé des sites jihadistes notamment au nord-est du pays. Certes, l'intervention fut limitée dans le temps et n'avait pour objectif premier que de rééquilibrer les rapports de force entre les différentes zones d'influence en terre irakienne. Mais l'exécution récente d'un journaliste et la prise de conscience du danger que représente pour les intérêts américains et occidentaux l'expansionnisme arrogant de Daech, ont certainement été déterminants dans la nouvelle position prise par rapport à ce rejeton d'Al Qaïda, jusque-là, toléré. Les experts sécuritaires qui étudient toute la zone allant du Machreq jusqu'au Maghreb sont unanimes pour alarmer les grandes puissances contre le rêve intégriste du vaste califat embrassant l'ensemble des pays musulmans et recouvrant même une partie de l'Espagne, l'Andalousie en l'occurrence. Mission chez le voisin turbulent Pour ce qui est du sauvetage de la Libye, il intéresse beaucoup notre voisin algérien : la récente rencontre « au sommet » entre le président Abdelaziz Bouteflika et le cheikh Rached Ghannouchi, président d'Ennahdha, s'inscrit, apprend-on, dans le cadre d'une tentative « fraternelle » de pacifier le voisin du Sud et d'y éviter une intervention militaire étrangère. Ghannouchi aurait été donc prié d'aider à la réconciliation des milices en guerre et à la création d'un climat de transition moins sanglant et plus démocratique. Mission qu'il a déjà entamée avant-hier, mardi, puisqu'il a reçu au siège de son parti, une délégation libyenne parmi le comité des « soixante » chargé de rédiger la constitution : la rencontre tourna autour de la nécessité d'engager des processus consensuels entre les parties belligérantes et du devoir de sauvegarder l'unité territoriale de la Libye ; Ghannouchi recommanda aussi à ses hôtes de s'inspirer de l'exemple tunisien pour parachever la période de transition sans plus d'effusion de sang. Que peut-on espérer de cette intercession nahdhaouie en faveur de la paix en Libye ? La situation, là-bas, est trop complexe pour qu'une telle intervention puisse rétablir l'ordre et réconcilier les milices en guerre. Mais qui sait ? Bouteflika ne s'est pas adressé à Ghannouchi sans être certain que celui-ci est capable de désamorcer la grave crise libyenne. Mais alors, si c'est le cas, qu'attend-on chez nous pour demander au « vénéré » cheikh de neutraliser les terroristes implantés sur notre sol et à nos frontières ! Tous sauveteurs ? En effet, la Tunisie pâtit elle aussi de son Printemps arabe détourné de ses idéaux premiers : tous les partis et tous les candidats engagés dans le processus électoral mettent en avant l'urgence de « sauver » le pays ! Mais de quoi et de qui ? Cela dépend du « sauveteur » et de ce qu'il entend par « sauver » ! L'autre jour un candidat nahdhaoui aux législatives (il s'agit d'une tête de liste connue) déclara que pour son parti, la première mission est de sauver la Tunisie, sans préciser le ou les périls dont il faut la préserver. Or, la plupart des formations politiques opposées à la Troïka considèrent Ennahdha comme le danger majeur qui menace l'avenir de notre pays. Selon d'autres partis et dirigeants de partis, la priorité est d'arracher le pays à la crise économique, de mettre fin au calvaire de l'endettement, d'atténuer le chômage, de vaincre le terrorisme, de rassurer la population etc., sinon certains pensent que le vrai péril c'est la laïcité, la démocratie, l'égalité hommes femmes, la mixité, le modèle culturel occidental qui tous contrarient la Tradition et l'Identité. Bref, il y a tellement de « messies » autour de nous, en Tunisie et dans le monde arabe, que nous commençons à désespérer de notre « salut » final. Nous craignons les sauveteurs locaux tout autant que les « pompiers » et les « secouristes » qui nous viennent de l'étranger. Que faire alors ? C'est là justement tout l'enjeu des prochaines élections : distinguer le bon grain de l'ivraie, le sauveur sincère du bonimenteur corrompu !