Bien que son initiative pour le choix d'un candidat consensuel à la présidentielle lancée en juin dernier n'ait pas suscité un enthousiasme particulier auprès de l'ensemble de la classe politique nationale, le mouvement islamiste Ennahdha a décidé dimanche de ne pas présenter un candidat à ce scrutin prévu le 23 novembre. La décision a été prise à l'issue d'une réunion houleuse du Conseil de la Choura, l'autorité suprême du mouvement, tenue samedi et dimanche. «Ennahdha ne présentera pas un candidat à la présidentielle mais elle soutiendra un candidat consensuel capable de réunir tous les partis et de préserver le processus démocratique », a déclaré Zied Laâdhari, porte-parole du parti vainqueur des élections de l'Assemblée nationale constituante (ANC). «Nous voulons adresser un message positif au peuple tunisien et aux hommes politiques. Nous ne voulons pas dominer tous les scrutins, dans la mesure où Ennahdha va être largement représenté lors des élections parlementaires le mois prochain », a-t-il ajouté. L'appel lancé en juin par le mouvement Ennahdha à la classe politique pour s'entendre sur un candidat «consensuel» à la prochaine présidentielle a été catégoriquement rejeté par les principaux partis politiques. Nidaâ Tounes, qui est donné favori pour les prochaines élections tout comme Ennahdha, a rejeté cette offre. Souvent accusé d'avoir conclu un deal secret avec le parti islamiste pour devenir le nouveau locataire du Palais de Carthage, le leader du Parti Républicain (Al-Joumhouri) Ahmed Néjib Chebbi, a été le premier à opposer une fin de non-recevoir à la proposition d'Ennahdha. «J'espère qu'il n'y aura pas de candidat consensuel. On a commis une erreur en 1988 et on s'est mis d'accord sur un candidat consensuel, en l'occurrence Ben Ali», avait-t-il déclaré juste après la conférence de presse au cours de laquelle les dirigeants d'Ennahdha ont annoncé leur initiative. Visées machiavéliques Même, les deux anciens alliés d'Ennahdha au sein de la Troïka, en l'occurrence Ettakatol et le Congrès pour la République (CPR), ont également opposé un veto à l'initiative du parti islamiste, la jugeant «contraire à l'esprit de la démocratie dont l'une des principales conditions est de garantir le droit d'éligibilité pour tout citoyen». Les observateurs avertis estiment que l'attachement d'Ennahdha à un président consensuel est motivée par l'absence dans les rangs du parti islamiste d'une personnalité charismatique capable d'accéder aisément au Palais de Carthage. Certains analystes pensent, cependant, que les visées du mouvement Ennahdha sont beaucoup plus machiavéliques. Ce parti qui a toujours considéré le parlement comme l'épicentre du pouvoir et milité pour limiter autant que faire se peut lors de l'adoption de la Constitution les prérogatives du président de la République chercherait à envoyer un message fort aux pays occidentaux et aux bailleurs de fonds de la Tunisie qu'il ne compte pas gouverner seul. Depuis plusieurs mois, Rached Ghannouchi ne cesse d'ailleurs de parler d'un gouvernement d'union nationale, voire du maintien de l'actuel cabinet apolitique, arguant que le pays n'est pas en mesure de supporter durant cette phase critique de son histoire une démocratie où la majorité gouverne et l'opposition joue son rôle traditionnel. D'autre part, Ennahdha tente à travers son initiative à diviser le camp progressiste en y provoquant une lutte fratricide, dont l'enjeu est le choix d'un candidat à la présidentielle. La perspective du choix d'un candidat consensuel devrait, par ailleurs, permettre à Ennahdha d'avoir un nouveau président de la République docile qui ne s'oserait pas s'opposer à sa politique générale une fois élu. Dans ce cadre, la liste des candidats consensuels potentiels à la présidentielle du 23 novembre est longue. Elle comprend, entre autres, l'actuel président Moncef Marzouki, le président de l'Assemblée générale constituante, Mustapha Ben Jaâfar, le leader du parti Républicain (Al-Joumhouri), Ahmed Néjib Chebbi et Béji Caïd Essebsi.