Le groupe djihadiste tunisien Okba Ibn Nafaâ vient d'annoncer son soutien à l'organisation terroriste l'Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL), tout en l'appelant à agir en dehors de son périmètre d'activité traditionnel, selon un mémorandum publié le 20 septembre par le centre américain de surveillance des sites islamistes SITE. «Les frères moujahidines de Okba Ibn Nafaâ soutiennent fortement l'Etat islamique et l'appellent à avancer en passant les frontières et en écrasant partout les trônes des tyrans», a précisé le groupe armé commandé par l'Algérien Khaled Chaïbi, alias Lokmen Abou Sakhr, dans un communiqué publié sa page sur Facebook baptisée «Fajr Al-Quairaouen». Ce communiqué a été aussi repris sur plusieurs comptes intégristes sur les réseaux sociaux, dont la page «Akhbar Al Jihad» (les nouvelles du djihad). La brigade Okba Ibn Nafaâ est notamment active dans les montagnes de Chaâmbi, Salloum et Djebel Semmama dans la région de Kasserine où elle a mené plusieurs attaques contre les unités de l'armée et de la garde nationale, faisant une trentaine de morts et des dizaines de blessés entre soldats et policiers. Le gouvernement attribue notamment à ce groupe l'attaque la plus sanglante de l'histoire contre son armée qui a coûté la vie à 14 soldats en juillet 2014. Ce groupe avait aussi revendiqué un assaut quelques semaines plus tôt contre le domicile du ministre de l'Intérieur, qui a fait plusieurs morts parmi les policiers. Cette brigade, qui se présentait jusque-là comme un groupe affilié à Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI), compte aussi des cellules chargées du soutien logistique et d'acheminement d'armes dans plusieurs régions de la République. L'annonce du soutien de la brigade Okba Ibn Nafâa à l'EIIL intervient quelques jours seulement après que le porte-parole officiel du ministère de l'Intérieur, Mohamed Ali Aroui, eut fait état de son intention d'empêcher la tenue des élections en perpétrant des actes terroristes au cours de la période à venir». Solidarité entre groupes djihadistes Elle intervient aussi quelques jours après l'appel lancé par les branches d'Al-Qaïda au Maghreb (AQMI) et au Yémen (AQPA) aux djihadistes en Irak et en Syrie à s'unir contre la coalition internationale initiée par Washington qui vise à détruire l'organisation dirigée par Abou Bakr El Baghdadi. Le groupe EIIL a pris ses distances avec Al-Qaïda et proclamé un califat sur une partie de l'Irak et de la Syrie. Le Front Al-Nosra, la branche syrienne d'Al-Qaïda, est cependant restée fidèle au chef de d'Al-Qaïda Ayman Al-Zawahiri. Commentant le soutien apporté par la brigade Okba Ibn Nafâa, le spécialiste des mouvements islamistes Alaya Allani a expliqué que cette forme d'allégeance s'explique par des facteurs endogènes et exogènes. «Les facteurs exogènes sont liés à la solidarité entre les groupes se réclamant de la mouvance djihadiste et la tentative de la brigade Okba Ibn Nafaâ de tirer profit de l'installation d'un gouvernement et d'un parlement parallèle dominé par les islamistes en Libye», souligne ce professeur d'histoire contemporaine à la Faculté des lettres, des arts, des humanités de La Manouba. Et d'ajouter : «les facteurs endogènes sont notamment la crainte des mouvements djihadistes tunisiens de voir les prochaines élections aboutir à une stabilité politique et renforcer le courant libéral et démocrate, ce qui risque de renforcer les relations bilatérales entre la Tunisie et l'Algérie. Cela est d'autant plus vrai que l'Algérie représente l'ennemi juré des mouvements djihadistes ». AQMI chercherait un soutien financier auprès de l'EIIL M. Allani a également fait savoir que le soutien apporté par Al-Qaïda au Maghreb islamique et son antenne tunisienne pourrait s'expliquer par le fait que cette organisation qui connaît des difficultés financières tente de bénéficier du soutien de l'EIIL, une organisation qui dispose d'une importante manne financière. Bien que «l'environnement qui a donné naissance à l'EIIL en Irak et en Syrie (divisions confessionnelles, guerre en Syrie, forte instabilité en Irak) n'existe pas en Tunisie étant donné que la cohésion sociale reste forte et que la majorité des Tunisiens pratiquent un Islam modéré et tolérant», M. Allani appelle les autorités et la société civile à être extrêmement vigilants. Il rappelle, dans ce cadre, que l'essor des groupes djihadistes trouve à la fois son origine dans la précarité sociale (chômage, pauvreté ...), le lavage de cerveaux pratiqués dans les lieux de culte et la faiblesse de l'Etat, notamment sous le règne de la Troïka (absence de contrôle des mosquées, absence d'une législation antiterroriste... etc). De son côté, l'écrivain Slaheddine Jourchi, qui est l'un des meilleurs connaisseurs des mouvements intégristes et des phénomènes politico-religieux dans le monde arabo-méditerranéen, estime que le soutien annoncé de la brigade Okba Ibn Nafâa à l'EIIL est loin d'être surprenant au regard des rapports solides qui existent entre les djihadistes tunisiens et l'EIIL (Environ 2.400 Tunisiens combattent en Syrie, dont la majorité au sein de l'Etat islamique en Irak et au Levant, selon les données du ministère de l'Intérieur). M. Jourchi appelle, lui aussi, à la vigilance vu que «le risque d'attentats visant à empêcher la tenue des élections reste élevé malgré les succès récents des forces de l'ordre dans le domaine de la lutte contre le terrorisme».