L'octobre Musical recèle de surprises où l'inattendu est souvent synonyme de rencontres impromptues avec des musiques ataviques venues d'ailleurs. Mais lorsque cet atavisme de contrées lointaines rencontre le traditionnel de compositions locales, l'alliance des deux se fait exploration pour une célébration de tous les possibles. Et le mardi 14 octobre dernier, ce fut la rencontre de la musique tunisienne d'avec les sonorités du pays du Soleil Levant. Trois membres de la troupe « Azifet » de Amina Srarfi ont conjugué leur passion à celle de Fumie Hihara, interprète et compositrice japonaise qui ramena dans son bagage la beauté ancestrale des mélodies nipponnes. Entre oud, tar, qanun et... koto, un mélange de sonorité a donné lieu à un concert singulier. L'Acropolium de Carthage et l'Ambassade du Japon en Tunisie ont offert au public, composé d'avertis ou de curieux, une occasion d'allier deux rives au-delà de toutes différences et de toutes limites géographiques. L'entrée de Fumie Hihari fut très remarquée. D'abord un son aigu d'un instrument a envahi l'espace. Un son singulier qui suscitait la curiosité des spectateurs. Puis, une femme en kimono blanc et obi vert s'est promenée entre les rangs. Fumie Hihari a rejoint la scène en faisant un détour par la salle. Dans son costume traditionnel, elle a capté l'attention, la vue et l'ouïe ont suivi la marche lente de l'interprète et sa voix à la fois douce et puissante. Devant un paravent couleur d'or, Fumie Hihara a pris place derrière son koto : longue cithare dont les origines remontent à la Chine introduite au Japon entre le VIIème et le VIIIème siècle. Sa forme rappelle un dragon tapi et les treize cordes qui le strient horizontalement sont tendues et maintenue à une certaine hauteur par des chevalets amovibles, en ivoire. Les cordes sont fabriquées avec du fil de soie et sont pincées avec des grattoirs également en ivoire. Ce curieux instrument a transporté l'assistance à la lisière du temps et de l'histoire pour découvrir la musique japonaise. La consonance épurée de notes détachées se mêlaient dans une voltige ascensionnelle qui conféra à chaque composition cette part de rêve à l'instar de tant de brèches ouvertes sur un agréable méconnu. Célébrant la beauté de la nature et les éléments, les compositions jouées par Fumie Hihari ont rendu hommage au maître du koto Kengyo Yatsuhashi né en 1614 et décédé l'année de naissance de Jean-Sébastien Bach 1685. Outre cet hommage, l'artiste a joué son propre répertoire. Les compositions de Fumie Hihara s'inscrivent dans le respect de la tradition avec cette touche personnelle de contemporanéité. S'inspirant de l'esthétique japonaise, ses créations s'ancrent dans l'air du temps. La force de l'interprétation rend compte, en filigrane du jeu, de cette posture entre tradition et modernité, le respect de l'art des ancêtres et le regard vers le futur. La pureté du son du koto a été accompagnée, par truchements, de la voix cristalline de Fumie Hihara. Une voix certes fluette mais dotée également d'une grande force. De ses propres compositions, l'artiste en interprétât une sélection avec brio ; et la première partie du concert s'est achevée, d'ailleurs, par « Route de la Tunisie au Japon », une création spéciale pour l'Octobre Musical imaginée comme un rapprochement, au souffle du vent des deux pays. Une création savamment conçue et orchestrée par Fumie Hihara. Lors de la seconde partie, trois femmes ont rejoint l'artiste japonaise. Nada Mahmoud, Chaima Gaddour et Henda Srarfi de la formation « Azifet » ont pris place sur scène. Au côté du koto, leurs instruments respectifs : oud, qanun et tar ont habité l'espace. Cette deuxième partie de soirée était axée sur une alternance entre morceaux ancestraux japonais et chansons traditionnelles tunisienne. L'oreille du mélomane n'a pu qu'apprécier ce mélange d'instruments à travers lequel le répertoire classique a pris une nouvelle dimension. Les berceuses et le « Sakura » (fleur de cerisier) du Japon ont été revigorés par l'incursion des instruments orientaux et le jeu sensible des interprètes tunisiennes. Les airs de chansons tunisiennes : Ourdhouni zouz sbaya (j'ai croisé deux jeunes filles), « Taht el yasmina fellil (sous le jasmin, la nuit) et Ya m'adhbitni b'zinek (toi qui me châtie avec ta beauté) – interprété une deuxième fois lors du rappel – ont pris une seconde jeunesse au contact du koto et de la maîtrise et la finesse du jeu de Fumie Hihara. Le souvenir que laissera la soirée du mardi 14 octobre dernier, est celui de la rencontre de tous les possibles. De la tradition, une modernité de la perception, au-delà des frontières, a été mise en exergue et la différence en amont n'est qu'un leurre quand le sérieux et l'acuité réunissent les âmes et les esprits. Fumie Hihara et « Azifet » ont établi un pont entre deux pays et deux cultures illustrant qu'en matière d'arts et de relations humaines, le langage de la concorde est celui de la musique...