L'Union Générale Tunisienne du Travail (UGTT) s'est catégoriquement opposée à l'augmentation de l'âge du départ à la retraite à 62 ans à partir de 2015 évoquée dimanche par le porte-parole du gouvernement, Nidhal Ouerfelli, dans le cadre de la réforme des régimes de sécurité sociale. Le secrétaire général adjoint de la centrale syndicale chargé de la couverture sociale, Abdelkarim Jerad, a dénoncé des «propos irresponsables émanant d'un haut responsable qui n'est même pas au courant de l'issue du débat engagé à ce sujet» entre l'UGTT, le gouvernement et l'Union Tunisienne de l'Industrie, du commerce et de l'Artisanat. «Il paraît que le porte-parole du gouvernement ne sait pas qu'une commission mixte regroupant des représentants de l'UGTT, de l'UTICA et du gouvernement a été créée dans le cadre du pacte social signé entre les trois parties pour débattre de la question de la réforme des régimes de sécurité sociale. Cette commission mixte qui a déjà tenu plusieurs réunions est l'unique partie habilitée à se prononcer àce sujet. Le fait que le porte-parole du gouvernement se prononce sur cette question épineuse revient à dire que l'exécutif a décidé de se retirer du pacte social et à mener une réforme de façon unilatérale», fulmine M. Jerad. Et d'ajouter : «nous refusons catégoriquement toute augmentation de l'âge du départ à la retraite d'autant plus qu'il s'agit d'une solution qui ne s'attaque pas aux origines profondes du déficit des caisses sociales. Nous avons déjà exprimé cette position dans le cadre de la commission tripartite». Rappelant que l'actuel gouvernement a plaidé pour le lancement d'un nouveau round de négociations sociales après l'entrée en fonction du nouvel exécutif issu des élections du 26 octobre, M. Jerad a, d'autre part, estimé que « ce gouvernement dont l'espérance de vie théorique se limite à quelques semaines n'a pas le droit de se prononcer sur un dossier stratégique qui va engager l'avenir des Tunisiens sur le long terme». Le porte-parole du gouvernement, Nidhal Ouerfelli avait annoncé dans un entretien accordé dimanche dernier à l'agence Reuters que l'exécutif envisage de porter l'âge du départ à la retraite à 62 ans à partir de 2015 contre 60 ans actuellement, dans le but de réduire le déficit des caisses sociales. «Il y a une orientation pour l'augmentation de l'âge du départ à la retraite à 62 ans à partir de 2015 vu que les caisses sociales souffrent aujourd'hui d'un déficit énorme», a-t-il déclaré, indiquant que la Tunisie est aujourd'hui parmi les rares pays où l'âge légal du départ à la retraite a été maintenu à 60 ans. «Rafistolage» Outre une augmentation de l'âge de départ à la retraite «qui prend en compte les projections des indicateurs sociodémographiques à long terme, notamment l'augmentation constante de l'espérance de vie et le vieillissement de la population tunisienne», le projet de réforme des régimes de sécurité sociale élaboré par le gouvernement prévoit aussi l'augmentation des cotisations. L'UGTT estime, quant à elle, que ces deux mesures recommandées régulièrement par le Fonds Monétaire International (FMI) et la Banque mondiale aux autorités relèvent du «rafistolage» et ne sont pas en mesure d'empêcher l'effondrement des caisses sociales sur le moyen et le long termes. La centrale syndicale plaide plutôt pour une «réforme globale» qui repose sur la diversification des sources de financement des régimes de sécurité sociale (nouvelles taxes sur certains produits, recours au marché financier, intervention de l'Etat...etc), la lutte contre la diffusion à large échelle du travail au noir dans le secteur privé, le recouvrement des créances des caisses sociales auprès des entreprises. Il est à rappeler que le déficit des trois caisses sociales (CNSS, CNRPS, CNAM) a atteint un montant record de 281,6 millions de dinars en 2013. Selon les prévisions du ministère des Affaires sociales, il devrait culminer à 400 millions de dinars en 2014, à 700 millions de dinars en 2015 et à 1000 millions de dinars en 2016, si aucune réforme n'est mise en œuvre rapidement. En 2013, le déficit de la CNRPS a atteint un niveau record de -212,8 millions de dinars, contre -124,9 millions de dinars en 2012 et -20,2 millions de dinars en 2009. De son côté, la CNSS a enregistré un déficit de -85,8 millions de dinars en 2013, contre un trou moins béant de -81,8 millions de dinars en 2012 et un excédent de 5,9 millions de dinars en 2009. La CNAM a, quant à elle, remonté la pente en 2013, en enregistrant un excédent de 17 millions de dinars après un déficit de -35,3 millions de dinars en 2012. En 2009, cette caisse était excédentaire de 16,8 millions de dinars. La principale raison de ce trou de plus en plus béant de la «sécu» réside dans les mutations démographiques et socio-économiques qu'a connues la Tunisie au cours des dernières décennies : vieillissement de la population, travail au noir, amélioration de l'espérance de vie, taux de chômage élevé, plans sociaux... etc. Le ratio actifs/retraités (nombre de salariés en exercice qui paient grâce à leurs cotisations les pensions de salariés partis à la retraite, NDLR) a, en effet, baissé à une vitesse vertigineuse. Au niveau de la CNRPS, le ratio actifs/retraités au niveau de la CNRPS a atteint 2,87 actifs pour un seul retraité en 2012, contre 3,11 en 2008 et 5,3 en 1990. Au niveau de la Caisse CNSS, la situation est légèrement meilleure, avec un ratio actifs/retraités qui s'est établi à 4,29 en 2012, contre 4,47 en 2008 et 5,65 en 1995.