Chaque session de l'Octobre Musical réserve à ses habitués un concert surprise. Cette année, la surprise est le groupe « Ifriga » sous la direction de son fondateur Brahim Bahloul. En compagnie de sa troupe composée de Seifeddine Maayouf, Mohamed Salah Issaoui, Lotfi Soua, Jamel Chebbi, Saber Jebali, Chedli Bideli et deux musiciennes et vocalises Rania Jdidi et Lobna Magri, Brahim Bahloul a revisité la musique du terroir, une musique des origines, celle des Berbères. A travers les percussions et les voix, les chants de la montagne et des plaines du nord -est de la Tunisie ont été au coeur d'une interprétation où la tradition et la modernité ont capté l'attention d'un public hétéroclite : des autochtones assoiffés de musique ancestrale et des curieux en quête de dépaysement. Pour tous, un voyage de tous les délices était au rendez-vous... Une mise en scène rappelant une tente avec des tapis au sol et des tentures suspendues a été la première curiosité qui intrigua les spectateurs. La deuxième est venue des coulisses. Un claquement de mains sur la peau tendue a mis l'oreille en alerte. Puis ce claquement sourd a retenti de plus en plus fort et avec une répétition mesurée, se muant en tempos étudiés, donnant le ton de la soirée. Cette musique pénétrante a été accompagnée par les voix et très vite, sur la scène, une « population » de musiciens a pris possession des lieux. En costumes traditionnels, les artistes ont conjugué talent musical avec prestation théâtrale. Chaque chanson était l'occasion d'explorer un pan d'une histoire sociale, de rencontres d'hommes et de femmes relatées avec cette profondeur et cette densité où les rythmes tempèrent ou attisent les sentiments. Sur la scène, outre les instruments de percussions et ceux à cordes, assiette en bois et sa cuillère, des pilons en métal et baguettes ont constitué une curiosité qui produisait une sonorité atypique. Cette étrangeté, loin d'être dérangeante était l'occasion de s'immerger dans un univers particulier. Le berbère se laissant appréhender par un réarrangement personnel dont la transcendance était une mise en valeur de ce chant qu'on tend à oublier et que Brahim Bahloul fait revivre à travers une modernisation du son. Cette modernisation passe par l'intrusion du saxophone. Ce dernier s'est parfaitement intégré aux autres instruments. Avec « Ifriga », Brahim Bahloul signe une rencontre avec les origines et permet une évasion imaginée et imagée où mise en scène et musique entraînent dans les méandres de tempos endiablés. Avec une once de mysticisme, les chants ont permis de présenter à un public non averti des artistes complets qui ont su faire entrer les convives dans leur monde et peu importe l'étrangeté de la langue, elle ne fut pas un handicap mais une passerelle, un trait d'union entre les pans de l'histoire : le passé et le présent. « Ifriga » était l'agréable surprise de cette session de l'Octobre musical. Un ensemble bien rodé et harmonieux dont les membres sont animés par la passion et le professionnalisme. Une soirée mémorable à tout point de vue où, sur scène comme parmi les spectateurs à la fin du concert, les artistes ont envahi l'espace pour faire entrer tous ceux qui étaient présents dans la danse millénaire sur les hauteurs de Carthage...