Il ne fait plus désormais l'ombre d'un doute que le parlement issu des élections législatives sera dominé à hauteur de prés des deux tiers par deux partis, en l'occurrence le parti moderniste Nidaâ Tounes (environ 37% des voix) et le mouvement islamiste Ennahdha (environ 26% des suffrages). Le reste sera partagé entre une myriade de petites formations plus ou moins proches des deux grands pôles politiques du pays. Ce nouveau paysage politique bipolaire rend l'obtention d'une majorité parlementaire une tâche ardue pour Nidaâ Tounes, qui aura le privilège de nommer le futur Chef du gouvernement conformément aux dispositions de la Constitution. La formation créée en juin 2012 par Béji Caïd Essebsi, vieux routier du sérail tunisien, ancien ministre de Bourguiba, puis Premier ministre au lendemain de la chute de Ben Ali, devrait s'atteler à composer avec d'autres partis afin de constituer un gouvernement de coalition. Bien avant les élections, M. Caïd Essebsi avait déjà promis de nouer des alliances avec d'autres partis. «Nous avons pris une décision avant même les élections selon laquelle Nidaâ Tounes, même s'il a la majorité absolue, ne gouvernerait pas seul. Il faut gouverner avec les autres, dans l'intérêt de Nidaa Tounes et du pays», a-t-il déclaré dans un entretien accordé à la chaîne privée Al-Hiwar Al-Tounsi, diffusé lundi soir. «Nous gouvernerons avec les plus proches de nous, la famille démocratique entre guillemets», a-t-il ajouté en allusion à d'autres partis progressistes. «Cela dépendra des résultats (...). Quand les résultats seront définitifs nous penserons à la question», a-t-il poursuivi, ajoutant vouloir également attendre l'élection présidentielle. Pendant la campagne, Béji Caïd Essebsi n'avait pas, cependant, écarté une «collaboration de circonstance avec Ennahdha si les résultats l'exigeaient». En attendant l'annonce officielle des résultats du scrutin par l'Instance supérieure indépendante pour les élections (ISIE), le mouvement Ennahdha se dit toutefois «enclin à jouer son rôle pour la stabilité» du pays. «Nous sommes disposés à participer au gouvernement d'union nationale. Il va y avoir des discussions plus tard et nous sommes prêts à participer où à rester dans une opposition loyale et constructive», a déclaré lundi soir le porte-parole d'Ennahdha, Zied Laâdhari. Et d'ajouter: «Nous ne cherchons pas systématiquement à être dans le gouvernement. Mais nous avons une volonté ferme pour être des acteurs responsables qui feront avancer les choses pour le bien de la Tunisie». Compétences indépendantes ? Le président d'Ennahdha a d'ailleurs téléphoné à Béji Caïd Essebsi pour le féliciter de la victoire de Nidaa Tounès. Le leader de Nidaâ Tounes a déclaré avoir «beaucoup apprécié ce geste ». Faut-il cependant en conclure qu'une alliance entre les deux plus grands partis du pays est inévitable ? Rien n'est moins sûr, selon plusieurs dirigeants de Nidaâ Tounes. «Il faut garder à l'esprit que Nidaâ Tounes a remporté ces élections grâce à son opposition frontale à Ennahdha dont il a largement fustigé l'incompétence. Béji Caïd Essebsi n'a-t-il pas lui-même déclaré que son parti et celui de Rached Ghannouchi sont deux lignes parallèles qui ne se rejoignent jamais ? », rappelle un dirigeant de Nidâa Tounes. « Une éventuelle alliance avec Ennahdha risque d'avoir des conséquences désastreuses sur le parti qui risque de connaître le même sort que celui du Congrès pour la République et d'Ettakatol, les deux anciens alliés du mouvement islamiste au sein de la Troïka». Face aux dangers d'une telle coalition la marge de manœuvre du parti de Béji Caïd Essebsi semble réduite. D'autant plus que les scores des partis modernistes qui seront représentés au futur parlement (8 à 9 sièges pour Afek, 3 sièges pour Al-Moubadra, NDLR) semblent insuffisants pour dégager une majorité confortable et stable. Les divergences entre Nidaâ Tounes et le Front populaire (entre 12 et 15 sièges, NDLR) sur le plan économique paraissent par ailleurs trop fortes trop fortes pour espérer une alliance entre ces deux forces. Selon certains observateurs, Nidaâ Tounes pourrait, cependant, sortir de ce dilemme d'alliance dangereuse avec Ennahdha en désignant un gouvernement de compétences nationales indépendantes. En optant pour ce genre de gouvernement le parti vainqueur des élections législatives pourrait faire d'une pierre plusieurs coups. D'une part, il préservera sa cohésion interne et évitera de connaître le même sort que les deux ex-alliés d'Ennahdha après les élections du 23 octobre 2011. D'autre part, Nidâa Tounes évitera de s'exposer directement aux feux des critiques quand ce gouvernement engagera des réformes économiques et sociales douloureuses pour tenter de faire sortir le pays du marasme économique.