Tout dépend du verdict de l'Instance provisoire de constitutionnalité des projets de lois Après l'adoption en un temps record de la Loi de finances 2015 par l'ARP (Assemblée des représentants du peuple), la présidence de la République vient de jeter un pavé dans la mare et annonce dans un communiqué rendu public lundi son objection quant à la non constitutionnalité des articles 11, 12 et 13 de la loi de finances 2015. En sa qualité de premier garant du respect de la Constitution et de sa bonne application, la présidence de la République a décidé de faire appel et ce en s'appuyant sur les articles 41, 49 et 66 de la Constitution. De prime abord, et selon le même communiqué le recours vise à protéger le droit de la propriété, un droit constitutionnalisé dans l'article 41 de la Constitution. La présidence de la République s'oppose à la disposition de la loi de finances portant réforme du code de la Douane. En effet, ladite disposition permet à l'Etat de s'approprier la marchandise laissée par son propriétaire dans les dépôts de la douane au cours d'une durée bien déterminée. Le refus de la présidence se base ainsi sur le principe de la relativité, selon lequel l'Etat devra vendre la marchandise confisquée, s'acquitter de ses droits de retard, de stockage et autres amendes tout en réservant le reliquat au propriétaire. Deuxième réfutation, la présidence de la République appelle à supprimer les articles 11,12 et 13 de la loi de finances relatifs au sort des agents de l'Assemblée Constituante et des mécanismes et outils de fonctionnement y afférents. La Présidence de la République considère que cette disposition n'est pas du ressort de la loi de finances et du budget de l'Etat et qu'elle devra faire partie d'une loi spécifique et ce conformément aux articles 1 et 26 de la loi organique du Budget de l'Etat du 8 décembre 1967. In fine, la présidence tient à préciser qu'il n'y a pas péril en la demeure. Le recours ne portera pas atteinte à l'intérêt national, les délais constitutionnels (avant le 1er janvier 2015) seront bel et bien respectés et l'appel n'aura pas de répercussions sur les équilibres financiers du pays. La question qui se pose, la présidence de la République vient-elle jeter de l'huile sur le feu ? Quelles incidences sur le fonctionnement du budget de l'Etat ? Le recours auprès de l'Instance provisoire de la constitutionnalité des lois, est-il bien fondé ? Certains flairent l'odeur d'un bras de fer entre le gouvernement et la présidence. Comment peut-on lire ce recours sur le plan économique ? Pour répondre à cette interrogation, nous avons recueilli l'avis de Anis Wahabi, Expert-comptable. Anis Wahabi, expert-Comptable « Au cas où le budget ne sera pas ratifié le 1er janvier 2015, le Président de la République pourra décréter une loi portant fonctionnement du budget de l'Etat pour une période de 3 mois » « Aujourd'hui il faut attendre, le verdict de l'Instance provisoire de la constitutionnalité des lois. Au cas où le recours de la Présidence sera accepté, l'ARP devra rapidement se réunir pour revoir les articles incriminés. L'adoption de la loi par l'ARP ne veut pas dire sa ratification et sa mise en vigueur. En s'appuyant sur l'article 41 de la Constitution, il faut dire que l'objet du premier recours est théoriquement raisonnable, sauf qu'il n'est pas particulièrement pratique. Il faut savoir que certaines marchandises restent plus que 8 ans stockés dans les locaux de la Douane. La disposition portant refonte du code de la douane est indispensable, mais elle est mal formulée dans la loi de finances 2015 et c'est d'ailleurs le cas de plusieurs autres articles qui ont été approuvés à la hâte. A ce titre, une question s'impose d'elle-même : pourquoi la présidence de la République n'a-elle pas fait appel contre certaines dispositions de la loi de finances 2014 et de la LF 2014 complémentaire qui nécessitaient également le recours ? Par ailleurs et en ce qui concerne l'argument de la présidence portant infraction de la loi organique de décembre 1967 du budget de l'Etat, il va sans dire que le budget de l'Etat est soumis à la loi 2004-42 du 13 mai 2004 et non pas à loi 67. Ainsi la loi 2004-42, ne fixe pas de limitation aux prérogatives du budget. Dans la pratique, l'incursion de certaines dispositions en dehors des recettes et dépenses budgétaires est légitime. On parle dès lors de ce qui est communément appelé « cavalier budgétaire ». De toutes les manières, même si c'est un peu serré, je pense qu'il n' y a rien de grave et qu'on a le temps pour faire appel et appliquer la sentence de l'Instance provisoire de la constitutionnalité des lois. Toutefois et au cas où, le jour j, soit le 1er janvier 2015, le budget ne sera pas ratifié par le Président de la République, ce dernier aura la possibilité de décréter une loi portant fonctionnement du budget de l'Etat pour une période de 3 mois ». Ainsi d'ici le verdict à annoncer par l'Instance provisoire de la constitutionnalité des lois, nous restons dans l'expectative. Est-ce l'épilogue d'une campagne présidentielle sous tension ? Yosr GUERFEL AKKARI Lexique : Cavalier budgétaire En finances publiques, un cavalier budgétaire est une disposition législative qui n'a pas sa place dans le cadre d'une loi de finances. Les cavaliers budgétaires sont proscrits afin d'éviter un "gonflement" des projets de loi de finances et un allongement inconsidéré des débats budgétaires. ». Autrement dit, une disposition non financière ne peut être incluse dans le projet de loi de finances sans faire l'objet d'une censure par le Conseil constitutionnel.