Les morts ressuscités à leur insu auraient-ils voté dimanche dernier ? C'est ce qu'insinuent certains mécontents du verdict des urnes en semant le doute sur la transparence des élections. Ils justifient leurs dires par la présentation d'une trentaine de numéros de cartes d'identité nationale (CIN) de citoyens qui seraient inscrits dans le registre des électeurs et qui auraient probablement voté lors des législatives et des deux tours de la présidentielle de 2014. Le seul hic, c'est que ces personnes seraient... décédées. C'est du moins ce qu'avancent les dénonciateurs. Une grave accusation qui porte atteinte à l'intégrité de l'Instance Supérieure Internationale des Elections (ISIE) et remet en question l'élection du nouveau président. Publiée sur les réseaux sociaux et largement relayée, cette information a aussitôt déchaîné les passions et fait couler beaucoup d'encre « virtuelle ». Retour sur la polémique de la semaine. Numéros Mais pourquoi toute cette suspicion autour de cette trentaine de cartes d'identité ? Qu'ont-elles de particulier ? Tout simplement leurs numéros. Un rapide coup d'oeil sur la liste permet de remarquer qu'ils débutent tous par une série de zéros, six au minimum et c'est justement cela qui prête à confusion. Beaucoup s'imaginent, sans fondement, que les numéros des CIN sont attribués suivant un ordre chronologique et donc ceux qui ont reçu les toutes premières cartes d'identité ne sont plus en vie aujourd'hui, à l'instar du président Habib Bourguiba dont la CIN portait le numéro 00000001. Une idée reçue puisqu'en 1993, les cartes d'identité « kawmeya » ont été remplacées par des cartes d'identité « wataneya », soit les actuelles que possèdent tous les citoyens tunisiens de plus de 18 ans. Cette opération a notamment permis de récupérer bon nombre de numéros de cartes d'identité ayant appartenu à des personnes décédées et qui ont par la suite été réattribués. Mais comme il est d'usage chez les opérateurs téléphoniques, certains numéros seraient « VIP », car facilement mémorisables et auraient donc été attribués à des personnalités telles que Foued Mbazâa, Chedli Klibi, Hassen Belkhodja ou encore Mehdi Bourguiba, l'arrière petit fils du leader Bourguiba. La réponse de l'ISIE Alertée sur cette polémique, L'ISIE a prestement réagi en publiant un communiqué dans lequel elle confirme que toute personne décédée avant 1993 ne peut en aucun cas être inscrite sur la base de données des cartes d'identité nationales. L'Instance a également précisé que les 36 personnes, dont les numéros de CIN ont été dévoilés et compris entre 01 et 99, sont toutes inscrites dans le registre électoral, ajoutant que 30 d'entre elles ont fait leur inscription en 2011 alors que les six autres ont été inscrites en 2014. Sur sa page Facebook, Riadh Bouhouch, chargé des réseaux informatiques au sein de l'ISIE, a publié un tableau détaillé avec la date de naissance et la date d'inscription de chacun des porteurs de ces 36 cartes d'identité, en précisant que toutes ces personnes étaient toujours en vie, selon les registres d'état civil, récemment actualisés en août 2014. Concernant la CIN portant le numéro 03283129, elle appartiendrait au citoyen Ali Amri, né à Mareth, le 5 octobre 1880. Âgé de 134 ans, ce vétéran aurait bel et bien voté dimanche dernier à l'école Taha Hussaïn dans la région d'El Zarat, à Gabès. Quant à la CIN n°09999999 , elle appartiendrait à une certaine Sarrah, qui serait d'après certaines sources, étudiante. De l'huile sur le feu A l'heure où le climat reste tendu et les nerfs à vif, pour preuve les violents affrontements entre forces de l'ordre et protestataires dans certaines villes du Sud et du Centre ainsi qu'au Kram, cette fausse polémique aurait pu envenimer encore plus la situation et causer de graves dégâts. Mais d'ailleurs, qui en est à l'origine ? Vérification faite, c'est le site Al Sada qui serait le premier à avoir lancé, lundi soir, cette « bombe à retardement ». Annonçant par là, un scoop et un scandale retentissant, l'équipe a dénoncé à cor et à cri une fraude électorale évidente, raillant par la même occasion Béji Caïed Sebsi qui a fait appel, selon eux, aux électeurs morts faute de pouvoir miser sur les vivants. Pour rappel, Al Sada est un site d'informations électronique, connu pour sa ligne éditoriale favorable à la mouvance islamiste. A sa tête, Rached Khiari, condamné en octobre dernier, à 3 mois de prison avec sursis. Il a été jugé selon l'article 86 du code des télécommunications, pour avoir autorisé la diffusion, sur le site, de la vidéo de la mère d'Imed Deghij menaçant la juge qui avait prononcé un jugement de prison à l'encontre de son fils. Quant aux accusations de fraude avancées par E. Gargouri, le principal intéressé s'est aussitôt rétracté, expliquant qu'il avait fait la confusion entre le numéro de CIN de son défunt père et celui de son frère. Mais ce qui est plus grave, c'est que des proches de Moncef Marzouki, à l'instar de Imed Daïmi, ont relayé l'information et alimenté la polémique, sans toutefois s'assurer de la véracité des accusations portées par le site électronique. S'il y a suspicion de fraude, pourquoi ne pas recourir à la justice plutôt que de perdre son temps à colporter des intox sur la toile et raviver la tension entre les deux camps ? Le peuple a voté. Le peuple a tranché. Messieurs les politiciens, respectez le choix des Tunisiens et faites preuve de maturité, de patriotisme et de responsabilité. La politique est un jeu dont les règles sont la démocratie et la loi. Si vous désirez y participer, soit vous les respectez, soit vous vous retirez du jeu mais de grâce laisser le peuple et le pays en paix, loin de vos petites querelles politiques !