La troisième vie artistique de Jo Ann Morning a commencé en 2009 en Tunisie, lors d'une mémorable exposition au palais Abdellia, à l'occasion du Pintemps des Arts de la Marsa. Pour la première fois, cette artiste américaine au parcours des plus riches, exposait dans ce qui allait devenir son pays d'adoption. Depuis, elle a adapté ses pinceaux à la lumière tunisienne et multiplie les collections d'œuvres qui lui ont permis de rejoindre le mouvement artistique tunisien dont elle fait désormais partie intégrante. De Hammamet (où elle réside) à Sousse, de Sidi Bou Said à la Soukra, de nombreuses expositions, au fil des ans, ont permis au public de découvrir les peintures et gravures de Jo Ann Morning, récemment entrée dans le musée d'art vivant tunisien par le biais des acquisitions du ministère de la Culture. Après "la voix encrée" à la galerie Kalysté où elle a exposé des gravures, après "Les couleurs de Tunisie" et "les couleurs de la médina" qui l'ont rapprochée du public local, Jo Ann Morning a récemment exposé sa nouvelle collection à la galerie Saladin, sous la houlette de Ridha Souabni. Au delà, elle poursuit son rayonnement en Europe et en Amérique tout en exposant aussi bien en Macédoine ou en Roumanie qu'en Egypte ou au Maroc. Désormais méditerranéenne, cette artiste continue à consolider son ancrage tunisien et participe pleinement à la vie des arts par le biais de nombreuses expositions de groupe. Le temps du Maghreb C'est en Californie, où elle est née, que Jo Ann Morning fait ses premières armes, mène sa première vie artistique. Formée à l'institut d'art de San Fransisco, elle parfait son apprentissage à l'université de Seattle puis confirmera son élan en installant son univers pour trois ans à l'atelier 17 à Paris. De fait, c'est en France, matrice de sa seconde vie artistique que le talent de cette plasticienne commence à s'imposer. De 1988 à 2007, elle participera à de nombreuses expositions de groupe et affirmera sa démarche auprès des plus grandes galeries parisiennes. Simultanément, elle marquera sa présence aussi bien à l'emblématique "Art Expo" de New York qu'avec de nombreuses incursions dans les galeries de Boston, Los Angeles, Londres ou Berlin. Puis viendra le temps du Maghreb... Comme beaucoup d'artistes américains de la plus haute tradition, Jo Ann Morning visitera le Maroc puis s'installera en Tunisie. Dans le sillage de John Singer Sargent ou Tiffany Comfort, elle sera autant subjuguée par la lumière d'outre-ciel que par l'ipseité des Maghrébins, leur mode de vie, leurs tenues vestimentaires et leur art de vivre. Non pas que ses oeuvres aient à voir avec un quelconque orientalisme désuet ou toute autre tentation folkloriste. Au contraire, Morning s'appuie sur les êtres pour faire surgir la quintessence des choses, l'immanence celée dans une posture, la subtilité d'un drapé ou encore l'étrange correspondance entre une fibule et un paysage urbain. Démiurge, prométhéenne, elle recrée un monde réglé par l'intervention artistique. Dans l'esprit d'un Chagall ou des grands surréalistes, elle opére une distorsion dans le réel et, en quelque sorte, l'agrége à son projet artistique, ses couleurs, ses formes et son monde propre. Ce qui interpelle dans les oeuvres de Morning, c'est leur regard virginal et aussi leur évanescence, le flottement qu'elles portent en elles, leur fragilité essentielle. Comme l'écrit, la critique américaine Joan Stuart Ross, Jo Ann Morning "entremêle paysage et vie humaine ou végétale par des lignes rythmées et animées où paysages et formes de vie s'enlacent et se confondent pour faire fusionner, par la vitalité de son geste, les éléments végétaux, minéraux et poétiques". On ne saurait mieux dire pour souligner cette synthèse qui s'opére dans les oeuvres de l'artiste hammamétoise. Si Morning avoue un net penchant pour la gravure et la peinture, elle sait aussi créer des surfaces d'impression à partir de supports qui vont de la dentelle au papier froissé en passant par les granulés. La beauté de l'imperfection Un univers minutieux se déploie dans les oeuvres de Jo Ann Morning. Son trait précis, entre introspection et regard sur le monde, évoque des intimités subreptices. A regarder ses oeuvres, on la dirait musicienne tant les séries qu'elle crée pourraient avoir un rapport avec des suites musicales ou les différents mouvements d'un concerto. Ses compositions sont presque toujours organisées autour d'un détail déterminant, d'un hasard lumineux, d'une excroissance qui ordonne à sa manière l'univers de la toile ou de la gravure. Avec son trait d'une extrême finesse, elle laisse apercevoir dans ses œuvres les sillons très rapprochés qui constituent la première empreinte, la beauté de l'imperfection. Une véritable passion du corps étreint l'œuvre de Morning, une sorte d'absolu érotique émane de ses nudités, selon une savante géométrie de l'état du corps, selon une espèce de spéculation solaire sublimée par de limpides instantanés chorégraphiques. Cet hymne au corps est le versant dyonisaque des œuvres de Morning. Il nous renvoie illico à la longue tradition des mosaistes africains. Est-ce l'inconscient de l'artiste ou celui du critique qui parle? Car, on croirait reconnaître dans certaines œuvres de Morning des mosaïques du musée d'El Djem comme les éléments premiers , les pulsations discrètes d'une dynamique d'oscillations, d'instabilités, de vibrantes méditations. Ce principe de floraison irradie les œuvres de cette artiste qui a trois continents en partage. On retrouve en filigrane de ses travaux des connotations euphoriques, une véritable vitalité cosmique, une fibre palpitante qui fait le pari de l'audace. Sous le regard de Jo Ann Morning, ce sont des chaînes de vie qui renaissent, des femmes qui revivent, un thé vespèral qui prend des allures de naissance du monde ou encore un bain au matin qui nous donne à voir des rapprochements inattendus mais judicieux. Tout un art... Toute la démarche d'une plasticienne qui instille des sensations intenses portées par une impression de réalité...