Le fondateur et chef historique du mouvement Ennahdha, Rached Ghannouchi, ne parvient plus à contrôler ses troupes et à masquer les divisions qui traversent son parti, arrivé en deuxième position lors des législatives du 26 octobre dernier avec 69 sièges à l'Assemblée des représentants du peuple. Après la démission de l'ancien Premier ministre (décembre 2011 - mars 2013) en décembre 2014 et de Riadh Chaïbi en novembre 2013, un troisième gros calibre d'Ennahdha vient de rendre le tablier. Il s'agit de Abdelhamid Jelassi, vice président et membre du bureau exécutif du parti. L'information qui circulait depuis la réunion du conseil de la Choura tenu le week-end dernier a été confirmé mercredi dans un communiqué publié sur le site officiel d'Ennahdha. Commentant le départ de Abdelhamid Jelassi, l'ancien ministre de l'Agriculture et membre du bureau exécutif d'Ennahdha, Mohamed Ben Salem, a expliqué que cette démission est motivée par «des divergences de points de vue sur le mode de prise de décision au sein du parti», sans plus de précision. Selon des sources proches du parti islamiste, M. Jelassi conteste à travers sa démission la marginalisation des structures du parti et les décisions unilatérales et non concertées prises par Rached Ghannouchi et ses fidèles au sein du Bureau exécutif. Ces décisions concernent notamment le retrait d'Ennahdha du pouvoir en janvier 2014, son refus de présenter un candidat à la dernière présidentielle, sa neutralité affichée lors du deuxième tour du scrutin ayant opposé Moncef Marzouki à Béji Caïd Essebsi et sa volonté de nouer à tout prix une alliance avec Nidaâ Tounes. Ces mêmes griefs -ou presque- ont été déjà exprimés par Hamadi Jebali et Riadh Chaïbi. Ce dernier avait, en effet, contesté des «erreurs d'appréciation» et la «une vision politique limitée» d'Ennahdha lorsque le parti avait accepté de prendre part au dialogue national visant à l'écarter du pouvoir. Hamadi Jebali, lui, n'a pas hésité à appeler dès le premier tour de la présidentielle à barrer la route au candidat de Nidaâ Tounes, alors qu'Ennahdha avait officiellement opté pour la neutralité. S'alarmant d' «un risque de retour à la dictature», l'ancien Premier ministre avait, alors, estimé que le parti islamiste «ne peut pas être neutre et ambigu dans les questions cruciales». Si Abdelhamid Jelassi, Hamadi Jebali et Chaïbi ont choisi d'annoncer publiquement leurs démissions, d'autres hauts dirigeants d'Ennahdha ont préféré s'éloigner sans trop faire de tapage médiatique. C'est notamment le cas des deux députés Habib Ellouze et Sadok Chourou, qui avaient annoncé bien avant les élections législatives qu'ils comptaient s'éloigner des feux de la rampe pour «passer le flambeau aux jeunes et se consacrer aux études et à la prédication». Pragmatiques contre radicaux Le dénominateur commun entre tous les dirigeants du mouvement Ennahdha ayant pris leurs distances avec le parti est le fait que tous ont purgé de longues peines de prison sous le règne de Ben Ali. Ainsi, Sadok Chourou a purgé 18 ans de prison alors Hamadi Jebali et Abdelhamid Jelassi ont passé plus de 16 ans dans les geôles de l'ancien dictateur. Riadh Chaïbi et Habib Ellouze ont, eux aussi, goûté aux affres de la prison et de la persécution policière. Et c'est pour cette raison d'ailleurs que plusieurs observateurs situent les démissions annoncées publiquement ou non dévoilées des dirigeants du parti islamiste dans le cadre d'une fracture grandissante entre dirigeants et cadres de l'extérieur forcés à l'exil pendant plus d'une vingtaine d'années et ceux restés au pays dans les geôles de Ben Ali ou sous étroite surveillance de sa police. Les anciens exilés semblent plus modérés, plus pragmatiques et surtout plus enclins aux compromis, y compris avec leurs ennemis d'hier. Ainsi, au lendemain de la victoire de Béji Caïd Essebsi à la présidentielle, Rached Ghannouchi déclarait que «Nidâa Tounes n'est pas le Rassemblement Constitutionnel Démocratique (RCD) puisqu'il compte des courants hétéroclites allant des destouriens aux gauchistes en passant par des militants des droits de l'Homme et des syndicalistes», tout en affirmant sans détour que «M. Caïd Essebsi appartient au camp révolutionnaire puisqu'il a dirigé un gouvernement qui a conduit le pays vers des élections démocratiques en 2011». Les anciens prisonniers, eux, sont plus radicaux et quelque peu rancuniers envers leurs anciens geôliers. «En cas d'alliance entre le mouvement Ennahdha et Nidaâ Tounes, je quitterai le parti pour fonder un nouveau mouvement à référentiel islamiste et qui prône la rupture totale avec l'ancien régime», avait déclaré Habib Ellouze dans un entretien paru au lendemain du deuxième tour de la présidentielle du 21 décembre sur les colonnes d'un journal de la place. C'est dire qu'une éventuelle participation d'Ennahdha au nouveau gouvernement de Habib Essid risquent de rendre les fissures plus béantes dans l'édifice nahdhaoui...