L'heure des choix difficiles a sonné pour le mouvement islamiste Ennahdha. Une nouvelle session du conseil de la Choura du mouvement a démarré hier pour déterminer la position que devrait prendre le parti durant le deuxième tour de la présidentielle prévu le 21 décembre. Cette réunion qui s'étale sur deux jours se tient dans le cadre d'un climat interne particulièrement tendu et de divergences profondes entre l'aile dure et la faction modérée au sujet du candidat à appuyer. Selon les premières indiscrétions qui ont filtré, l'aile modérée d'Ennahdha menée par Rached Ghannouchi s'oriente vers une neutralité effective qui serait un appui qui ne dit pas son nom au leader du mouvement Nidâa Tounes Béji Caïd Essebsi, lequel est arrivé en première position avec 39,4 % des voix au premier tour (contre 33,4 % des suffrages pour le président sortant Moncef Marzouki). Une neutralité effective du parti islamiste au second tour servirait inéluctablement car même si la direction du parti arrivé en deuxième position aux législatives avec 69 députés n'exerce plus un contrôle absolu sur la totalité de ses troupes, elle garde toujours une autorité incontestée sur ce qui constitue la base de masse du mouvement. Plusieurs indices corroborent cette hypothèse. Il s'agit, en premier lieu, de la démission de l'ex-Premier ministre et ancien secrétaire général d'Ennahdha, Hamadi Jebali. M. Jebali a expliqué, dans un communiqué, avoir intégré le mouvement au début des années 1970 au nom de la «liberté et de la justice» contre la «tyrannie et la corruption». Mais selon lui, la Tunisie se trouve aujourd'hui face à des «défis énormes», notamment le risque d'un retour «de la tyrannie et de la corruption». «J'ai choisi d'être parmi les militants désireux de faire triompher le chemin de la révolution pacifique. Cette position, j'ai une grande difficulté à y être fidèle dans le cadre du mouvement Ennahdha aujourd'hui. Je ne me retrouve plus dans ses choix», a-t-il affirmé Hamadi Jebali avait récemment critiqué la position d'Ennahdha vis-à-vis des candidats à la présidentielle. Contrairement à son parti qui a décidé de ne pas soutenir un candidat au premier tour, l'ancien Premier ministre avait clairement appelé à ne pas voter pour Béji Caïd Essebsi. «J'appelle à voter pour un candidat appartenant à un parti autre que le parti majoritaire à l'Assemblée des représentants du peuple», avait-il déclaré quelques jours avant le premier tour de la joute électorale. Risque de scission De leur Côté Sadok Chourou et Habib Ellouze, qui sont classés par les observateurs comme étant des faucons d'Ennahdha, ont appelé dans des communiqués distincts publiés hier les bases d'Ennahdha à voter pour Marzouki. Présentant le président sortant comme étant «le candidat de la liberté et de la dignité , Sadok Chourou a ainsi mis en garde contre «l'implosion d'Ennahdha en cas d'un soutien direct ou indirect à Béji Caïd Essebsi». Habib Ellouze à, quant à lui, appelé les nahdhaouis à «se ranger du côté capable de réaliser les objectifs de la révolution en matière de libertés et de démocratie». Le probable soutien «indirect » d'Ennahdha à Caïd Essebsi s'expliquerait, selon les analystes, par des calculs politiques qui prennent en considération des contraintes intérieures et extérieures. Fins stratèges, les colombes d'Ennahdha savent très bien que le président sortant est incapable de séduire un grand nombre d'électeurs au-delà de ses partisans, soit essentiellement ceux du Congrès pour la République (CPR) du Courant Démocratique, du mouvement Wafa et bien entendu d'Ennahdha (1092000 voix), et de réunir une majorité. En face, Béji Caïd Essebsi paraît capable de rassembler beaucoup plus que son électorat partisan (1.289.384 voix). Une bonne partie des électeurs du leader du Front populaire (255.529), du président de l'Union patriotique libre (181.407), et d'autres candidats (Kamel Morjane, Monddher Zenaïdi et même Néjib Chebbi et Hachemi El Hamdi) se reporteront sur lui au second tour. Selon les observateurs, Ennahdha n'a aucun intérêt à opter pour une rupture totale avec Nidaâ Tounes. Le parti est contraint à suivre une ligne de prudence et à rechercher des solutions de compromis raisonnables avec la formation qui a remporté les législatives en vue de faire partie d'un gouvernement d'union nationale. Commentant les déclarations du secrétaire général de Nidâa Tounes, Taïeb Baccouche, qui a précisé vendredi qu'«il n'y a pas d'alliance avec Ennahdha» et qu' «il n'y en aura pas», Ajmi Lourimi a d'ailleurs déclaré que «le positionnement du parti islamiste dans l'opposition ne servira pas les intérêts de la nation, estimant que l'étape actuelle doit être basée sur le consensus et le partenariat entre les diverses sensibilités politiques». Quoi qu'il en soit, les observateurs s'attendent à ce que le parti de Rached Ghannouchi réitère, dans un premier temps, sa position de neutralité et qu'il ne donnera les vraies consignes de vote que le jour du passage aux urnes.