Le projet de loi organique portant création du Conseil supérieur de la magistrature continue à faire des vagues dans le milieu judicaire. Exclus de la composition de cette instance chargée de superviser la bonne marche de la justice et de garantir l'indépendance de l'autorité judicaire, les avocats broient du noir et s'activent sur tous les fronts pour corriger les «incohérences» de ce projet de loi. Lors d'une rencontre tenue mercredi avec le Chef du gouvernement, les membres du Conseil de l'Ordre national des avocats ont contesté la méthode d'élaboration du texte rédigé par une commission technique au sein de laquelle le Barreau n'était pas représenté. Les avocats protestent essentiellement contre l'absence de représentation du barreau au Conseil supérieur de la magistrature, alors que « les articles105 et 102 de la Constitution reconnaissent le rôle de l'avocat comme partenaire dans l'instauration de la justice». Ils rappellent que la Constitution stipule que chacun des quatre organes du Conseil supérieur de la magistrature doit regrouper des personnes (le Conseil de la justice judiciaire, le Conseil de la justice administrative et le Conseil de la justice financière ainsi qu'une instance des conseils juridictionnels et l'assemblée plénière des trois conseils juridictionnels) se compose pour deux tiers de magistrats en majorité élus et d'autres nommés ès qualités, et pour le tiers restant de non-magistrats indépendants parmi les spécialistes. Dans ce chapitre, les avocats pensent qu'ils sont les mieux placés pour constituer le tiers de non-magistrats indépendants parmi les spécialistes. Les membres du Conseil de l'Ordre national des avocats ont aussi récusé la composition de la commission chargée de l'examen des candidatures, mais aussi le fait que le projet de loi «fait siéger au même conseil des autorités judiciaires antagonistes». Ils ont, par ailleurs, fait remarquer que le Conseil supérieur de la magistrature dispose de larges prérogatives dans les domaines de la discipline, de l'inspection et de la gestion des tribunaux. A l'issue de la rencontre entre les membres du Conseil de l'Ordre national des avocats et le Chef du gouvernement, la commission technique chargée de l'élaboration du projet de loi portant création du Conseil supérieur de la magistrature s'est déclarée prête à apporter les modifications nécessaires au texte, à la lumière des observations faites par différentes parties prenantes du service public de la justice Mise en garde L'Association des Magistrats Tunisiens (AMT) a, cependant, mis en garde contre toute tentation de limiter les attributions du Conseil supérieur de la magistrature. «Le projet de loi a conféré au Conseil supérieur de la magistrature des attributions allant au-delà de la gestion des parcours professionnels des magistrats, comme la discipline, l'inspection et le recrutement, ce qui permet de rompre avec la logique de la tutelle du pouvoir judicaire sur les instances judicaires», souligne la présidente de l'AMT, Radoudha Karafi. Et d'ajouter : «L'intervention du pouvoir judiciaire dans la gestion des instances judicaires réclamée par les avocats constitue une porte ouverte à tous les genres de dépassements et une atteinte à l'indépendance de la magistrature». De son côté, la présidente du Syndicat des Magistrats Tunisiens, Raoudha Laâbidi, a estimé que le tiers des membres des quatre organes du Conseil supérieur de la magistrature composé de non-magistrats indépendants parmi eux ne devrait pas être constitué exclusivement d'avocats sous prétexte que la Constitution reconnaît le rôle de l'avocat comme partie intégrante du système judiciaire. A noter que l'article 148 de la Constitution (chapitre des dispositions transitoires) stipule, dans son 5e alinéa, que « le Conseil supérieur de la magistrature est mis en place dans un délai maximal de six mois à compter de la date de la première élection législative». C'est dire qu'il ne reste que deux mois pour mettre en place le Conseil supérieur de la magistrature dans les délais constitutionnels. Or, ces délais semblent difficiles à respecter vu que le texte qui sera revu et corrigé par la commission technique devrait être examiné en Conseil des ministres pour approbation, avant d'être transmis à l'Assemblée des représentants du peuple, où la commission de législation générale doit disposer de suffisamment de temps pour examiner le projet de loi et éventuellement le remodeler, avant der la soumettre à la séance plénière avant le 26 avril prochain.