Révélé en 2010 par son premier recueil " Arpèges sur les ailes de mes ans", Mokhtar El Amraoui est une des nouvelles voix qui comptent dans le paysage poétique tunisien. "Musicien des mots", comme le souligne l'universitaire Habib Meddah, El Amraoui vient de publier un second recueil qui confirme toute la verve et les qualités annoncées dans son premier ouvrage. Dionysiaque et romantique Intitulé "Le souffle des ressacs", ce livre est préfacé par Habib Meddah et parait à compte d'auteur. Comprenant plus d'une centaine de poèmes, l'ouvrage de 180 pages, imprimé à Bizerte, est sobrement illustré par un tableau de Valérie Le Merrer. El Amraoui y évolue entre divers univers poétiques. A la fois dadaïste et élégiaque, classique et post-moderne, le poète se meut dans un labyrinthe d'inspirations qui par moments, évoquent Garmadi, Lorca ou Mnaouar Smadah. Ce qui fait en effet l'originalité de ce recueil, c'est l'enchevêtrement d'influences et le souffle multiple, véritablement pluriel du poète qui oscille entre textes engagés et odes à la Tunisie. L'engagement politique est d'ailleurs une composante majeure de ce livre dont de nombreux poèmes sont dédiés à Farhat Hached, Nelson Mandela ou au Qatari Al Ajmi. Dans une dimension très chebienne, El Amraoui lance des appels à la liberté, affirme que "l'horizon du poète, c'est les veines de demain". Sur un autre registre, l'image de la mère et la scène de l'enfance habitent ce recueil dans lequel l'auteur cultive nostalgie des lieux et amour filial aux allures archétypales. Dans un poème puissant, la houle et le ressac deviennent "écumes, lait de mer" et s'apparentent au sein maternel, à la matrice de toute chose. Plusieurs poèmes sont dédiés à la femme, cette "flamme du possible". Une autre inspiration récurrente s'ancre dans la nature et se multiplie en poèmes très dionysiaques entre "poudre de lune" et "soleils enfouis". D'autre part, il est remarquable que plusieurs textes de ce recueil écrit dans une prose poétique sans fioritures, dans une langue scandée et éloquente, soient dédiés à des artistes, surtout des poètes, à l'image de Tahar Bekri ou Halim Karabibéne et Kamel Derdour. C'est un gage de compagnonnage et aussi la preuve d'une attitude ouverte, reconnaissante, pleine d'espoir. Selon les lecteurs, ce recueil pourra trouver son chemin. Ceux friands de l'œuvre des symbolistes français y trouveront du grain à moudre, ceux férus de romantisme bucolique et d'églogues seront pleinement satisfaits et ceux attirés par une poésie plus moderne où se croiseraient les influences de Prévert, de l'Oulipo et des surréalistes seront tout autant servis. Cela souligne bien la complexité de ce recueil qui, plutôt qu'un ressac, évoque un tsunami de sensations ainsi qu'un carrefour d'influences. En ce sens, El Amraoui excelle véritablement dans la poésie concrète, celle qui joue avec les mots, les pousse du seuil de leurs sonorités au gouffre béant de leurs significations. De Garmadi aux surréalistes Comme une houle irrésistible, le verbe de ce poète sait être à l'image d'une déferlante, véritable tempête de mots qui s'épousent, s'effacent, se tutoient, s'excluent, se fondent en une poésie que ne renieraient pas les plus grands. En ce qui concerne El Amraoui, la référence à Salah Garmadi s'impose comme une évidence au coeur des mots qui jouent. Comme Garmadi, l'auteur de ce "Souffle des ressacs" semble jubiler, jouir de l'océan du possible, s'amuser à donner aux mots un élan inédit. Pétri de structuralisme, El Amraoui appartient clairement à l'école barthienne et le fait qu'il soit enseignant de lettres françaises confirme cette capacité à écrire une littérature elle-même reflet d'une démarche intellectuelle tout en étant avant tout ludique, surprenante, iconoclaste. Pour se convaincre de l'originalité profonde d'El Amraoui, il suffit de lire des textes comme "Senteur de courbe", "Sève en rêve" ou "Lune espiègle". Le préfacier de l'ouvrage souligne bien cette dimension en décrivant "la jubilation locutoire" d'El Amraoui. Ciseleur des mots, l'auteur du "Souffle des ressacs" poursuit sa recherche d'un art poétique, enracine avec ce nouveau recueil sa présence dans le paysage littéraire et, surtout, nous donne à lire une oeuvre qui, comme une fragile calligraphie sous le vent, est écrite avec l'encre de nos désirs et le timbre clair de nos espérances.