« Cortège d'impressions » est le titre du dernier recueil de poésie de Jalal El Mokh, poète et écrivain tunisien qui a déjà publié plus d'une quinzaine d'ouvrages littéraires. Dans ce recueil où les poèmes sont réunis par ordre chronologique, allant de 1986 jusqu'à 1997, l'auteur célèbre l'Amour dans tous ses états. L'amour qui languit, qui s'étiole, qui disparaît et réapparaît sous formes de réminiscences qui se traduisent en effusions poétiques. C'est que dans ces poèmes, construits en grande partie à la première personne, où prédomine un style narratif, on est plongé dans la jeunesse du poète qui défile en cortège d'expériences et d'événements vécus : un cortège d'ambitions et de fantaisies juvéniles que le temps rend furtives et éphémères … Le poète nous en fait part dans son recueil dont les thèmes majeurs sont la fuite du temps et l'amour. Les jolies illustrations qui accompagnent les poèmes sont réalisées par l'artiste Lobna Fendri. La première de couverture est un tableau de Salvador Dali. En parcourant ce recueil, on relève ce mépris des conventions sociales et ce refus des normes communément admises. C'est l'anticonformisme qui caractérise presque la totalité des poèmes de ce recueil et qui, par moments, se transforme en révolte contre nos semblables. Une sorte de spleen, qui rappelle le mal du siècle, tant évoqué par les poètes romantiques du 19è siècle, s'empare de notre poète au point de désobéir aux règles établies. Dès le premier poème intitulé « Les sept voyages de Sindbad », il annonce la couleur : encore enfant, à la maison, il s'ennuie : « Je suffoquais d'amour et étouffais d'ennui » ; de même à l'école « Comme je n'en pouvais plus, je n'avais qu'à faire l'école buissonnière ». Plus tard, il s'emporte contre le fanatisme religieux : « Les bonzes fastidieux, les curés endeuillés et les imams bigots s'entretuaient… ». Marié, il déplore la monotonie de la vie conjugale : « Ma femme m'aimait trop, son amour platonico-charnel était tel que je quittai Cythère… ». Il se révolte contre le train-train de la vie « Ô vie, tu m'exaspères, ô vie, tu m'indiffères » ? Et, il va jusqu'à se réfugier auprès des morts, au cimetière, où il retrouve la paix et le calme parmi les fantômes : « Doux, calmes et prospères les petits cimetières…c'était vraiment trop beau, les spectres m'aimaient trop ». Enfin, ayant tout perdu, il mène une vie inconstante dominée par l'ennui : « j'ai perdu la vie, la foi, la mort, l'amour… j'ai tout perdu, ... sauf l'ennui ». Les poèmes destinés à l'amour convoquent la joie et l'art d'aimer, le désir sensuel et le plaisir charnel, à en juger par le vocabulaire utilisé et les images évoquées. On devine que le poète a dû affronter toutes sortes de contraintes (morales, artistiques, poétiques), en donnant libre cours à ses sentiments, son imagination et ses fantaisies. A vrai dire, dans les poèmes où il est question d'amour, les vers débordent d'érotisme et de sensualité, sans jamais verser dans le libertinage. Jalal El Mokh nous rappelle cette poésie qui chantait les désirs sensuels et les plaisirs charnels chez les anciens poètes arabes de l'époque antéislamique, ou chez Ronsard du 16ème siècle, Voltaire du 18ème, Rimbaud, Eluard, Baudelaire du 19è, sans oublier Jean Cocteau du siècle passé. Hechmi KHALLADI * Cortège d'impressions, Jalal El Mokh, janvier 2011, 112 pages.