Non, il n'est pas devenu fou, il n'a pas perdu les pédales, il ne s'emmêle pas les pinceaux, il réfléchit, tout simplement. Il est vrai que cela n'est pas donné à tout le monde... Néanmoins, on aurait préféré qu'il ne soit pas ainsi montré en spectacle, sur le plateau de « Labess », le samedi soir, jeté en pâture aux « vautours », qui ont dû pavoiser de le voir ainsi démuni, perdant le contrôle de lui-même poussé dans ses extrêmes, parce que, oui, on peut être éprouvé par l'âge, lorsque l'on a quatre-vingt-treize ans, et que l'on se relève des suites d'une maladie qui a bien failli vous emporter, et sur laquelle vous venez de gagner le pari de la vie, envers, en dépit et contre tout. On peut, parce que c'est humain, que personne n'y peut rien, et que ça peut arriver à tout le monde. Sauf que Mohamed Talbi n'est pas tout le monde ; voilà pourquoi l'on aurait volontiers « zappé » ce passage, pour que la dignité de ce grand intellectuel, de ce penseur, dont la réputation n'est plus à faire, soit préservée. Cela étant, il faut concéder, à la décharge de l'animateur de l'émission ainsi que de son second invité, qu'il n'y a pas eu marques d'irrespect ou d'outrecuidance, mais que le débat s'il en est, qui a été écourté par le départ précipité de Talbi, n'a pas été « rondement » mené s'il en est. Comme ce fut le cas le lendemain soir dans le cadre de l'émission « Li Man Yajroo Faqat ». L'écoute est extrêmement importante. Et Mohamed Talbi a prouvé qu'il savait être attentif aux propos de l'Autre, quel qu'il soit, n'aimant pas être interrompu, pour se permettre à son tour d'interrompre les autres invités lorsqu'ils prenaient leur temps de parole. Etre à l'écoute, ne veut certes, absolument pas dire, être d'accord avec tout ce qui a été énoncé, mais, règle élémentaire de la politesse et de l'échange, cela permet tout simplement d'avancer, même si c'est une voie de garage, ici en l'occurrence, et que chacun était là pour défendre sa « chapelle », campant sur ses positions, comme si sa vie en dépendait. Pourquoi une voie de garage ? Les différents invités, à savoir le représentant de « Hizb Ettahrir », Ridha Belhaj, tout autant que Cheikh Férid El Béji, Youssef Seddik évoluant, quant à lui, dans une autre sphère, plus proche de Talbi malgré tous les antagonismes, constituaient les principaux détracteurs de l'auteur de « Li yatmaenna Qalbi...», ceux- là mêmes qui l'avaient taxé d'apostasie, ou d'hérésie c'est selon, évoquant également la maladie d'Alzheimer parfois pour faire bonne mesure, le plaçant ainsi, d'emblée, dans la position d'un accusé à la barre, sommé de se justifier sur ses dires, devant dix-mille témoins à charge, et un jury ayant d'ores et déjà délibéré, rendu son verdict, le condamnant d'avance, avant même de lui avoir accordé son temps de parole. Hérétique Mohamed Talbi ? S'il a pu choquer, déclarant que le Coran ne faisait aucunement état, d'une manière clairement explicite et sans aucune équivoque, d'une quelconque interdiction de « l'alcool » et de la « luxure », dans son texte, il faut s'interroger sur ses réelles motivations. D'abord, comme il le rappellera lui-même, en tant qu'être libre, il a toute latitude de dire ce qu'il veut, en son âme et conscience, et nul n'a le droit de lui fermer la bouche, parce que ses propos n'auraient pas trouvé résonance chez lui. Il n'est pas exégète, il insistera là-dessus, et de ce fait, en tant que libre penseur, dans toutes les acceptions du terme, il a le droit d'émettre son avis sur n'importe quelle question, même si cela touche ici au domaine du sacré. Parce que, ce qu'il dit Mohamed Talbi, ce qu'il faut entendre, c'est que la sacralité du texte coranique ne doit pas être appréhendée dans le sens littéral du terme. Loin s'en faut... Mais plutôt dans sa spiritualité. Dans son message profond, dans ce qu'il implique comme transcendance, dans ce qui peut faire l'humanité plus belle, et plus douce la vie, et non pas avec la manière avec laquelle il est interprété aujourd'hui, par ceux qui prétendent être les « hérauts » de l'Islam, et qui se conduisent comme des « suppôts de Satan », semant la mort à tous vents, avec une barbarie extrême. Ce qu'il nous suggère, implicitement ou explicitement d'une certaine manière, c'est de ne pas demeurer esclaves de nos certitudes, et de savoir nous interroger sur tout ce qui fait sens, parce que tout ce qui est sclérosé, figé, tire vers l'arrière, et, quitte à faire le voyage intérieur pour revenir à son point de départ, il ne faut pas avoir peur de l'entreprendre ce voyage. Ce n'est qu'ainsi que les civilisations évoluent. Après, l'on pourra évoquer à volonté, une conspiration « franç-maçonnique », une invention du « mossad » ou autres complots « américano-sataniques » dont le but serait de semer la zizanie dans le monde musulman, histoire d'en faire vaciller tous les fondements, voilà qui serait en réalité, bien loin du compte... Par respect pour un intellectuel de l'envergure de Talbi, ne lui prêtons pas des intentions qu'il n'a pas. Ses écrits témoignent pour lui. En vrai, il est au dessus-de la mêlée. Que l'on soit d'accord avec lui, ou pas...