Mohamed Talbi, penseur et islamologue, a adressé une lettre au président de la République, Moncef Marzouki, dans laquelle il accuse le gouvernement d'avoir refusé de lui octroyer une autorisation de création de «l'Association internationale des musulmans coraniques». Dans cette correspondance, il rappelle au président qu'il se trouve à la tête d'un Etat qui ne respecte pas les libertés et dont les pratiques sont les mêmes que celles de Ben Ali, concluant, au fait, que «rien n'a changé après la révolution». L'objectif essentiel de l'association créée par Mohamed Talbi est de «lutter contre la dictature et l'extrémisme religieux, la défense de la laïcité et le rejet de toute accusation d'hérésie». A notre question : pourquoi le choix d'une association internationale? M. Talbi répond que son «association peut avoir des filiales partout dans le monde où il y a des musulmans, à Paris comme à Tokyo ou à Washington». Justement pourquoi avoir créé une association exclusivement coranique? Le penseur et islamologue précise : «parce que le Coran unifie tous les musulmans alors que les écoles théologiques divisent. L'école chiite étant, par exemple, une école théologique musulmane différente de l'école sunnite. Ce sont deux écoles si différentes au point que les sunnites considèrent les chiites comme des hérétiques. En Tunisie, il y a des musulmans qui appellent à me tuer. Ils ont écrit sur le mur de ma maison : ‘‘Ici se trouve la demeure de Satan, le chien hérétique, et celui qui le tue accomplira un bienfait aux yeux de Dieu''. J'ai reçu également des menaces de mort sur Facebook. J'ai porté plainte auprès la police car la loi punit ces forfaits, mais aucune enquête n'a été ouverte et aucun procès-verbal n'a été dressé. Cet Islam qui appelle au meurtre je n'en veux pas. Or le Coran n'appelle pas au meurtre et ne tue pas, je me contrains à ce que dit Dieu et non à ce que dit Malek Ibn Anass ou Mohamed Ibn Abdelwahab. Je ne connais que Dieu qui me parle directement, je prie Dieu et non tel ou tel autre théologien». La loi sur les associations n'obéit pas à l'autorisation mais à la déclaration Ainsi, Mohamed Talbi dénonce le refus du gouvernement de la création de son association. Or un communiqué du secrétariat général de la présidence du gouvernement, parvenu au journal, précise que «la loi sur les associations n'obéit désormais plus aux principes de l'autorisation mais à celui de la déclaration, ce qui exclut toute possibilité d'interdiction d'une association. L'administration opère de la sorte en vue de s'assurer de la conformité des statuts, proposés avec l'esprit et la lettre du décret 88 en date du 24 septembre 2011. Elle pourrait le cas échéant inviter les fondateurs à introduire les amendements nécessaires à leur statut. Cela dans l'objectif d'éviter ultérieurement le recours aux mesures répressives édictées par l'article 45 du même décret». Mohamed Talbi précise, de son côté : «On nous a demandé de changer le nom de l'association et certains de ses objectifs dont celui de la lutte contre le courant salafiste intégriste et la défense de la laïcité. On nous a également reproché d'avoir opéré dans l'article 4 de notre statut une différenciation entre les musulmans coraniques et les autres». Ce qui est d'ailleurs relevé dans le communiqué du secrétariat du gouvernement qui fait également remarquer que «Mohamed Talbi a tiré des conclusions fausses et hâtives qui nuisent à la réputation de l'administration. Considérant les objectifs de l'association comme non conforme aux orientations du parti au pouvoir». Cela alors que l'administration n'a pas encore donné son avis sur le sujet d'autant qu'elle s'oblige, de fait et de jure, à la neutralité concernant le dossier des associations et s'astreint au respect de la loi loin de toutes considérations politiques. Mais le penseur et islamologue n'est pas de cet avis : «Quand on vous demande de changer le nom de l'association et certains articles de son statut c'est tuer la liberté dans le pays comme au temps de Ben Ali. Voilà qui ne correspond point aux objectifs de la révolution fondée sur la liberté religieuse et la liberté de pensée. L'administration a refusé de nous fournir l'accusé de réception et affirme nous avoir envoyé une lettre, mais nous n'avons reçu aucun courrier. Quand nous nous sommes adressés à l'imprimerie officielle de la République tunisienne pour procéder à la publicité légale de la constitution de l'association et sa parution dans le Journal officiel, on a exigé l'accusé de réception que nous n'avons pas reçu. Or le décret-loi de constitution des associations édicte que passé 30 jours sans réponse, le représentant de l'association doit procéder à la publicité légale de la constitution de l'association à l'imprimerie officielle. Ce qui jusqu'à aujourd'hui n'a pas été le cas». Mohamed Talbi qui accuse, par ailleurs, Ennahdha de «rejeter toute association qui lutte contre le terrorisme religieux et la dictature religieuse qu'elle veut imposer», aura-t-il le visa pour son association dont il ne souhaite changer ni le nom ni le statut ? Campant ainsi sur ses positions. Surtout que de son côté, l'administration affirme s'en tenir à la loi et à la neutralité. Les prochains jours nous le diront.