A l'heure où, au Palais de Justice les avocats se présentaient aux audiences en brassards rouges par solidarité avec leurs confrères de Sfax, l'Association des magistrats tunisiens, a donné une conférence de presse pour expliquer aux médias et à l'opinion publique les causes profondes du litige opposant juges et avocats et qui ne fait que s'accentuer et durcir. Raoudha Karafi, présidente de l'Association a rappelé tout d'abord qu'au-delà des détails de cette affaire, et de ses tenants et ses aboutissants, « nul n'est au-dessus de la loi qu'il s'agisse des magistrats, des avocats ou des agents de l'ordre. Or il y a eu une transgression certaine de la loi de la part des avocats, qui se sont conduits d'une manière désinvolte et irrespectueuse, en envahissant le bureau du procureur général à Sfax pour lui proférer des injures ». Elle a ajouté par ailleurs que des scènes de violence commises par les avocats concernés ont été filmées, et peuvent servir de preuve, et a invité les médias à les regarder sur vidéo diffusé sur le compte fb de l'AMT. Raoudha Karafi a encore précisé que ces troubles semés par les avocats au sein du tribunal, constituent un prétexte, pour amener la commission de rédaction du projet de loi concernant le Conseil supérieur de la magistrature, à revoir ledit projet dans le sen qu'ils désirent. Ils ont en effet obtenu satisfaction puisque dans la dernière rédaction du 9 mars 2015, les avocats constituent une majorité écrasante dans le tiers des membres devant composer le Conseil supérieur de la magistrature qui doivent être choisis parmi la composante civile. «Le problème a été politisé à dessein» a encore affirmé Raoudha Karafi. Hégémonie des avocats Le juge Mohamed Ltaief, membre du bureau exécutif de l'AMT a affirmé, corrélativement avec sa collègue, que « le procureur a essayé d'abord la voie de la conciliation entre l'avocate en question et les deux policiers. Mais en désespoir de cause et étant donné qu'il y avait des accusations mutuelles d'agression, des deux parties au litige, il a transmis le dossier à un magistrat instructeur. Ce fut suite à cette décision, qu'un certain nombre d'avocats s'étaient déchaînés sur le procureur général de la Cour d'appel de Sfax, en lui proférant des injures qui ont été filmés sur cassette vidéo. Les slogans lancés par les avocats concernés étaient attentatoires à la pudeur . Désignant le procureur par son nom de famille, ils l'avaient traité de tous les qualificatifs désobligeants et contraires à la bienséance tels que : A..... le poltron, la dignité des avocats ne se remet jamais en question !.... » Il a précisé « que les avocats se sont adonnés à des actes de violence en cassant une porte de l'une des salles d'audience, et ont endommagé une machine photocopieuse ». Le juge Mohamed Ltaief a en outre déclaré que « les avocats ont passé une transaction secrète avec le ministère de la Justice, pour obtenir ce qu'ils voulaient ». «Le nouveau projet paru dernièrement, a favorisé l'ascendant de l'exécutif, avec l'accord des avocats qui sont désormais majoritaire parmi le 1/3 des membres du Conseil choisis en dehors des magistrats. Il y a une hégémonie des avocats (Taghaoul) au sein du Conseil supérieur de la magistrature selon la dernière mouture que nous refusons en tant que magistrats. Car nous ne croyons à aucune autre hégémonie que celle la loi. », a encore fait remarquer le juge Mohamed Ltaief. Un projet rétrograde Hamdi Mrad juge du tribunal administratif et membre de l'Association a surtout fait part de ses inquiétudes concernant le projet de loi relatif au Conseil supérieur de la magistrature dans sa rédaction du 9 mars dernier, eu égard à certains de ses articles qui constituent une atteinte à l'indépendance de la magistrature, acquis révolutionnaire intangible. Il a expliqué en effet, que « le pouvoir exécutif est mis davantage en exergue dans ce nouveau projet, au détriment du pouvoir judiciaire et contrairement à la Constitution et aux normes internationales. Il y a une régression concernant les acquis du pouvoir judiciaire par rapport au texte précédent rédigé par la commission en janvier 2015.A titre d'exemple, la révocation du juge est désormais décidée suivant un décret présidentiel. Ce qui est contraire à l'article 107 de la Constitution en vertu duquel : « les juges sont révoqués par décision motivée du Conseil supérieur de la magistrature ». Par ailleurs la parité femmes/hommes n'est pas assurée, a-t-il fait observer. Il a ajouté que « selon le nouveau projet, le budget est préparé suivant décret gouvernemental et le Conseil est écarté en l'occurrence. Ce qui est de nature à accentuer l'ascendant de l'exécutif, ce qui met la Cour des comptes sous la tutelle du ministère de la Justice ». Le juge a donc conclu qu'un tel projet ne peut recevoir l'approbation des juges qui œuvrent à une consolidation inconditionnelle de l'indépendance de la Justice. Les avocats ont voulu avoir la part du lion au sein du Conseil, sans se soucier des intérêts des magistrats et de leur indépendance sans laquelle il ne saurait y avoir une justice équitable dans l'intérêt général ».