Pour fêter le jazz, Jay Rattman et le Tunis Orchestra seront sur la scène du Rio pour un concert de toutes les tentations. Premier big band tunisien, l'ensemble né de l'initiative du Jazz Club de Tunisie devrait apporter de nouvelles preuves de sa maturité et renouer avec une longue tradition jazz qui trouve ses sources au festival international de Carthage et dans le succès planétaire d'Anouar Brahem... Décrété journée internationale du jazz, le 30 avril sera l'occasion de retrouver les musiciens qui comptent sur la scène jazz tunisienne pour un concert qui promet d'être mémorable. C'est le Jazz club de Tunis qui est derrière cette initiative que le public pourra découvrir sur la scène du Rio, le 30 avril 2015 à 20h. Pour ce concert, le Jazz Club Tunis Orchestra sera au complet et développera tous les accents jazz des big bands des sixties. L'ensemble de musiciens tunisiens sera dirigé par Jay Rattman, un jazzman de New York qui est non seulement compositeur et arrangeur mais aussi un authentique virtuose jouant de plusieurs instruments. Belle initiative donc qui permet, quelques jours seulement après une session exemplaire de Jazz à Carthage, de revenir à ce style musical qui connaît un engouement de plus en plus remarquable sous nos cieux. "Jazz d'hier et d'aujourd'hui" Aurions-nous oublié que le festival international de Carthage était à ses débuts un festival de jazz? En effet, les premières sessions de ce festival se tenaient aux Thermes d'Antonin et parvenaient à réunir la crème du jazz mondial. Que de grands noms ont défilé depuis sur la scène de Carthage: le mythique Count Basie Big Band, Louis Armstrong ou Ray Charles, Lionel Hampton et bien d'autres stars de la planète jazz. A l'origine, le festival de Carthage s'appuyait sur celui d'Antibes, en France, pour convaincre les artistes américains de faire un crochet par Tunis. Et cela marchait! De fait, cette tradition jazz est fort bien établie en Tunisie surtout depuis l'après-guerre. Les archives du Théâtre municipal, de la Pépinière ou du Casino du Belvédère montrent le passage de nombreux artistes sur les scènes de la capitale pendant les années quarante et cinquante. Cette tradition se traduisait aussi par l'existence de petites formations, essentiellement françaises, qui pratiquaient jazz et swing et se produisaient en première partie des grands concerts de l'époque. La radio tunisienne a beaucoup fait pour que ce style musical soit présent en Tunisie. Les jazz-clubs sur la chaîne internationale ont toujours propagé cette culture musicale et le dernier d'entre eux était jusqu'à récemment animé par l'excellent Mongi Majeri. Des années durant, ce producteur radio doublé d'un saxophoniste de talent a animé "Jazz d'hier et d'aujourd'hui", à la croisée de plusieurs générations musicales qui allaient de Benny Goodman à Fats Domino en passant par Dizzy Gillepsie. Qui rendra un jour l'hommage qu'il mérite à Mongi Majeri qui coule aujourd'hui une calme retraite du côté de Korba et fut aussi l'un des principaux instigateurs des premières éditions jazz du festival de Carthage? Il est temps, dans ce domaine, que l'amnésie cesse de nous jouer des tours et que nous rendions à notre César du swing ce qui lui appartient. Qu'on ne s'y trompe pas, le jazz fut longtemps un style musical des plus prisés en Tunisie. Bals populaires et soirées dansantes des sixties se vivaient encore au rythme du fox-trot, du charleston ou du be-bop et autres rag new-yorkais. C'est pour ces raisons que le socle des fans du jazz a toujours fait un triomphe aux stars de passage et que cette tentation jazzy existe parmi de nombreux musiciens tunisiens. Les artistes tunisiens et la tentation jazzy C'est incontestablement Salah El Mahdi qui a enregistré le premier disque de jazz tunisien. Connaissant l'orthodoxie musicale de cet artiste, cela pourrait paraître surprenant. Et, pourtant, ce maître du malouf a enregistré à la fin des années soixante une œuvres jazzy pour laquelle il improvisait des solos de nay en étant soutenu par une impressionnante section rythmique. Toutefois, quelques décennies plus tard, c'est le jazzman Faouzi Chekili qui, sans métissage oriental, allait produire un sound jazz irréprochable à la confluence de Herbie Hancock (dernier grand jazzman sur la scène de Carthage en 2000) et des standards les plus populaires. D'autres groupes des seventies évoluaient entre jazz et rock, à l'image des Daltons, Sindbad ou du Marhaba qui furent longtemps les maîtres de la scène. Même Ridha Diki, sous des apparences de chansonnier, investissait, dans la veine d'un Boris Vian ou d'un Charles Trenet, l'univers jazz. Ce sera finalement Anouar Brahem qui réalisera la synthèse la plus élaborée pour un jazzman tunisien. Avec plusieurs albums et une audience internationale, Brahem tutoie les plus grands des artistes modernes de cette discipline qui, souvent, ont abandonné le swing fondateur pour le registre plus aérien du solo et des improvisations échevelées. Entre Sun Ra et Keith Jarret, un nouveau jazz voyait le jour dont Anouar Brahem est la matrice tunisienne. Comment omettre dans ce passage en revue Mohamed Zinelabidine et ses musiciens du monde parmi lesquels Chris Jarret, Zoltan Lantos et les époux Demir. Cette formation de la fin des années 90 a oscillé entre world music et jazz moderne et ouvert la voie à plusieurs initiatives parmi lesquelles celle de Riadh Fehri qui, lui aussi, a opéré un brassage d'influences dans sa musique. La naissance du Jazz Club Tunis Orchestra Aujourd'hui, la scène jazz tunisienne compte un nombre impressionnant de petites formations. Trios, quartets, quintets rivalisent d'audace pour faire vivre le jazz. Adoptant en général un mode classique, ces groupes sont essentiellement articulés autour d'une basse et d'une batterie qui portent un instrumentiste solo au piano, à la guitare ou au saxophone. Cette profusion de petits groupes est née d'une double tension. D'une part, il existe, comme déjà souligné, un engouement historique pour le jazz et la liberté qu'il donne aux musiciens. D'autre part, plusieurs tentatives de structurer cette nouvelle vague ont vu le jour un peu partout. Plusieurs noms s'imposent dans ce domaine, à l'image de Malek Lakhoua ou Mohamed Ali Kamoun. Les puristes se souviennent par exemple du groupe Flen qui, à sa manière, a ouvert un boulevard pour le feeling jazzy. Cette multitude d'initiatives a fini par trouver des canaux institutionnels, avec les ateliers jazz d'Ennejma Ezzahra ou les rendez-vous musicaux qui fleurissaient un peu partout démontrant la cohérence du mouvement et aussi ses faiblesses, notamment un manque de continuité et des stratégies trop individualistes. C'est dans ce contexte que le Jazz club de Tunis a vu le jour afin de fédérer les initiatives et offrir un creuset propice à l'encadrement dans la flexibilité et le respect des artistes de ce mouvement naissant. Réunissant les musiciens, offrant des formations, diffusant la culture musicale jazz, le club allait vite trouver sa voie. En 2014, le Jazz Club Tunisia Large Ensemble voyait le jour avec la participation de nombreux artistes ayant applaudi et contribué à cette naissance. Simultanément, cette association parvenait à animer des modules de formation dans le domaine du jazz, avec 25 stagiaires qui s'y sont initiés à la démarche du musicien de jazz tout en découvrant les subtilités sonores des œuvres de Duke Ellington, Benny Carter ou Gerry Mulligan. Cette diffusion de la culture jazz donnait rapidement ses fruits et permettait aux musiciens de mieux connaître les fondamentaux et surtout de discipliner leur jeu. C'est tout ce travail en amont qui sera récompensé la semaine prochaine avec le grand concert du Rio. Autour de Jay Rattman, ils seront de nombreux musiciens tunisiens qui donneront leur sound le plus pur pour qu'il rejaillisse sur la tonalité de l'ensemble du Jazz Club Tunis Orchestra, première initiative structurée d'un big band jazz dans notre pays. A ce titre, ce concert du 30 avril promet d'être historique car il salue la naissance de cet ensemble tunisien qui ne pouvait mieux trouver que Rattman, l'homme-orchestre, pour accorder les désirs, la rythmique et les échappées des solistes. A ne pas manquer! Et surtout à déguster avec jouissance sur fond de journée internationale du jazz!