Après le succès fulgurant de la précédente édition, le Festival International de Carthage (FIC) ne s'annonce pas sous les meilleurs auspices. Du moins, Le coup d'envoi était, pour le moins qu'on puisse dire, en-deça des espérances. Est-ce le contexte général, le très maigre budget ou le choix du spectacle d'ouverture ? Peut-être, c'est un peu de tout. Ne nous leurrons pas : organiser un festival de l'ampleur de Carthage dans une situation aussi alarmante, persister et persévérer relèvent de l'héroïsme. Tous les ingrédients sont là : un budget dérisoire ne permettant pas d'inviter les grosses pointures de la scène artistique internationale, y compris les stars tunisiennes ; un état d'alerte poussé à son maximum, des risques d'attentats. Autant de raisons pour dissuader les plus intrépides des artistes ! D'ailleurs, le festival n'a même pas commencé qu'à J-2 de l'ouverture, deux désistements ont été annoncés au grand dam des organisateurs. : Le ballet polonais «1.000 costumes» de Bolshoï polonais Mazowsze qui était prévu le 23 juillet. La chanteuse australienne Nathalie Imbruglia annonce à son tour l'annulation de son concert à Carthage le 9 juillet. Dans un communiqué, le bureau du festival explique les raisons des désistements avancés par les artistes : l'attentat terroriste de Sousse survenu le 26 juin à Sousse. Un sacré coup pour des organisateurs qui se battent pour que la 51èmeédition se tienne et qu'elle soit digne de ce lieu historique : l'amphithéâtre de Carthage, haut-lieu de notre civilisation. Une scène qui a vu se produire les plus grands génies de la scène artistique mondiale : Youssou N'Dour, Warda, Ali Riahi, Dalida, James Brown, Charles Aznavour, Ray Charles ou encore le grand Joe Cooker. Mais les temps sont autres... Pour sauver la mise, les organisateurs ont vite fait de remplacer ces deux spectacles par d'autres de renommée internationale : Georgian Legendet un concert du chanteur britannique Charlie Winston. Aujourd'hui, le fait est là : le festival n'a plus les moyens pour ramener les grosses pointures de la scène artistique mondiale. Si on y rajoute une situation menaçante comme celle qu'endure la Tunisie, il est tout à fait normal que le festival International de Carthage connaisse un notable déclin. Qui va s'aventurer chez nous ? Certains l'ont fait. Alors que certains ont cédé à la panique d'autres sont obstinés à soutenir l'art, saluer la résistance et la ténacité des défenseurs de la culture en Tunisie face à la menace obscurantiste. Cette année, ils ont choisi d'être là parmi nous répondant avec enthousiasme à l'invitation de Carthage. Pour n'en citer que quelques-uns : le chanteur libanais Wael Kfouri, la jeune chanteuse d'origine indienne Indila, Oumar Farouk, l'orchestre de Pau-Pays de Béarn et bien d'autres artistes internationaux ont décidé de défier la terreur qui veut mettre la main sur la Tunisie, cette terre de paix et de tolérance. Ils ont décidé, dans un élan de solidarité de ne pas «abandonner la Tunisie». Oulaya «Dhalamouni habaybi»... Pour le coup d'envoi, le comité organisateur a décidé de consacrer la soirée d'ouverture du festival à la mémoire de la grande Diva tunisienne Oulaya. A l'occasion du 25ème anniversaire de sa mort, la Troupe de la ville de Tunis qui fête d'ailleurs ses 60 ans d'existence a produit sur la scène de Carthage une pièce de théâtre, baptisée «Dhalamouni Habaybi» à l'honneur de la cantatrice tunisienne. Ecrite et mise en scène par l'homme de théâtre et acteur tunisien Abdellaziz Meherzi, la pièce a duré deux heures et demie. Trop longtemps et trop monotone pour une pièce jouée dans un amphithéâtre tel que celui de Carthage. Pourtant, le travail et la recherche artistique étaient à saluer. Loin de là, le metteur en scène s'est largement documenté sur la biographie de la Diva Oulaya, a côtoyé les gens qui l'ont accompagnée sa vie durant. Il s'est surtout focalisé sur Oulaya l'être humain, la jeune fille pudique, la mère passionnée, l'épouse émancipée et la femme affirmée et déterminée. Le jeu des acteurs était également à la hauteur malgré quelques scènes monotones et lourdes. Il faut dire que la pièce a réuni les meilleurs talents du 4ème art tunisien à l'instar de la grande Mouna Noureddine, Rim Zribi, Ikram Azzouz, Fayçal Bezzine et bien d'autres acteurs et comédiens tunisiens connus par le public. Le rôle principal a été dédié à la non moindre célèbre comédienne et actrice Kaouther el Bardi. La ressemblance physique avec la chanteuse était frappante. La corpulence physique l'était moins. Dans un autre contexte théâtral, les exigences propres à l'incarnation d'une telle ou telle personnalité publique auraient obligé la comédienne de perdre les quelques kilos de trop qu'elle a par rapport au personnage joué. Oulaya n'était certes pas filiforme mais n'avait pas la corpulence de Kaouther Bardi. Néanmoins, la comédienne a réussi bon gré mal gré à incarner le rôle de la Diva tunisienne. La pièce musicale s'est jouée face à des gradins à peine remplis. Est-ce la peur ou le choix du spectacle d'ouverture qui a dissuadé les Tunisiens à venir peu en nombre ? Les témoignages que Le Temps a collectés à la fin du spectacle ont montré une déception considérable. On parle d' «ouverture ratée», «décevante» voire «ennuyante». D'autres poussent même la critique un peu plus loin «Je ne critique pas le travail artistique, je critique le choix. L'ouverture de Carthage aurait dû être plus grandiose. L'hommage rendu à notre chère Oulaya n'est pas vraiment à la hauteur. Le lieu et le moment sont très mal choisis ! Ils ont bien raison de l'avoir baptisé «Dhalamouni Habaybi». Ils ont voulu lui rendre hommage, ils l'ont raté !». Un autre spectateur qui avait l'air très déçu nous déclara : «Je me suis ennuyé à mourir dans certains passages. Je salue l'idée, l'initiative et le jeu de certains acteurs mais ce genre de pièce aurait pu connaître un franc succès au Théâtre municipal et non sur la grande scène de Carthage ! Une grosse erreur à mon avis et beaucoup le partage. Dommage pour notre Diva et pour les efforts fournis par la troupe de la ville de Tunis. A juste titre, le nom de la pièce (Dhalamouni habaybi) est très expressif : on a été injuste avec elle à travers ce spectacle !» Mécontents, les spectateurs ont quitté les gradins fulminant. La déception se lisait sur les visages. L'hommage que l'on voulait rendre à l'une des étoiles de la chanson tunisienne était «raté». Par moment, le spectacle était chargé d'émotions. Retracer le parcours d'Oulaya est une aubaine pour ceux qui ont grandi avec ses chansons. C'est également une découverte pour la jeune génération. Le jeu de Kaouther Bardi est également parfaitement sublimant même si quelques scènes n'étaient pas vraiment à la hauteur des espérances. On n'y a pas senti le charisme sans égal et la force de caractère de la chanteuse. Frappé par la monotonie et la fadeur de certaines scènes, les spectateurs ont commencé à quitter l'amphithéâtre petit à petit, dépités et contrariés.