Parmi les films programmés dans les JCC figure celui du réalisateur marocain Nabil Ayouch, un film intitulé « Much loved » qui a fait couler beaucoup d'encre notamment au Maroc où sa projection fut interdite par les autorités pour « outrage grave aux valeurs morales et à la femme marocaine »,quand bien même cette œuvre serait bien applaudie par les cinéphiles et les critiques à l'extérieur du Maroc, depuis sa présentation à la Quinzaine des Réalisateurs en mai dernier à Cannes. Peut-on désapprouver un réalisateur qui veut exercer sa liberté d'expression quitte à choquer des institutions et des personnalités moralisatrices de son pays ? Pourtant, le film dit très haut ce que d'autres disent plus bas !Le fait qu'il passera chez nous lors de cette session des JCC suscitera-t-il la même controverse chez les critiques et le public en général ? En attendant, jetons un peu de lumière sur ce film qui entre dans la compétition officielle des longs-métrages et dont la projection est prévue pour le 26 novembre à 18h, à la salle Le Colisée.Pour donner une idée générale sur le film, on peut lire dans le synopsis : « A Marrakech, de nos jours : Noha, Soukaina et Randa se prostituent pour vivre. Les jeunes femmes sont organisées et, conduites par Saïd, leur homme à tout faire, elles passent d'un bar à une boîte de nuit ou à une soirée privée. Encadrées par des maquerelles, elles vendent leurs corps à des hommes : touristes, Marocains, mais aussi Saoudiens de passage dans le royaume. Energiques et indépendantes, elles sont néanmoins victimes de l'hypocrisie d'une société patriarcale qui n'assume pas leur existence... » Nabil Ayouch est un réalisateur franco-marocain né le 01 avril 1969 à Paris. Il travaille entre Casablanca et Paris. En 1997, il réalise son premier long-métrage, «Mektoub», qui comme «Ali Zaoua» (2000) a représenté le Maroc aux Oscars, puis viennent «Une minute de Soleil en moins» (2003) et «Whatever Lola Wants». « Much loved » est donc un film de fiction qui s'approche du documentaire et dont les évènements se déroulent au Maroc. Il met en scène, à travers quatre femmes, toutes les formes de prostitution féminine, mais aussi celle des travestis et des enfants. Mais le film s'attache surtout aux rencontres de ces femmes, aussi fortes que fragiles, aussi asservies que libres, affrontées chaque jour à plusieurs types de clients : les riches Saoudiens, les Européens et même les Marocains. Le film détaille le travail de ces femmes avec beaucoup de franchise et de réalisme jusqu'à dans leur vie privée, intime, familiale ou amoureuse (lisez sexuelle), tout en révélant l'humiliation, la violence et la soumission que subissent ces femmes rejetées par la société de la part d'hommes arrogants, nantis de richesse et de pouvoir qui font d'eux des êtres masculins dominants et sans scrupules. Et aussi paradoxal que cela puisse paraitre, ces mêmes hommes les désirent et les utilisent autant qu'ils les condamnent. Le film montre pourtant que ces femmes mènent leur propre vie, une vie de prostituées où les boissons alcooliques, le tabac, la drogue, l'hypocrisie, la corruption et la violence, font partie de leur quotidien. D'un autre côté, le film montre les rapports de solidarité et de tendresse qui unissent ces femmes et dont elles se servent comme antidote contre l'humiliation et le rejet. C'est à travers le destin de ses prostituées que le réalisateur brosse le portrait de cette catégorie de femmes qui exercent le plus vieux métier du monde pour chercher un moyen de subsister et pour nourrir leurs proches, profitant des avantages touristiques sur lesquels repose l'économie du Maroc, mais qui n'ont en retour que du mépris. Le film de Nabil Ayouch ne nuit pas à la femme marocaine. Loin s'en faut ! Mais il essaie de mettre le doigt sur la plaie, un phénomène qui gangrène dans la société ; aussi veut-il démystifier un sujet considéré jusque-là comme tabou, voulant donner une voix à une catégorie sociale mal vue dans son pays qui sont les prostitués et qui font partie d'autres laissés-pour-compte. De là, Ayouch ne fait que peindre la réalité, une certaine réalité de sa société où ces figures féminines exercent ce métier, parfois à leur corps défendant, mais toujours obligées de le faire par nécessité, habituées à ce monde nocturne où certaines scènes du film sont osées, mais sans jamais tomber dans une impudeur gratuite. En effet, ce n'est pas le sexe qui intéresse le réalisateur mais plutôt la maîtrise du corps de la prostituée et de ses moyens de séduction pour assujettir le client qui devient aussitôt « dominé », alors qu'il passe toujours pour être le « dominant ». C'est peut-être dans cette situation que les rôles sont inversés. De plus, les héroïnes du film semblent être caractérisées par le réalisateur en tant que femmes et non en tant que prostituées, des femmes émancipées, certes, mais qu'il faut « sauver » du joug d'une société patriarcale et misogyne. A l'inverse de l'opinion de ses détracteurs, Much Loved rend ainsi ses lettres de noblesse à la prostitution au Maroc, devenu par la force des choses un véritable commerce du corps qui procure à ces femmes démunies un marché florissant, du moins une source de revenus pour faire vivre leurs familles, sans pour autant que le réalisateur fasse de son film une mauvaise propagande de la perversité féminine en particulier et de la dépravation des mœurs en général, mais cette œuvre de Ayouch met en relief un phénomène devenu flagrant dans la société marocaine. Un film à voir absolument !