De l'être au monde, il n'y a qu'un pas que Mohamed Chelbi a franchi avec la rapidité de ceux qui ont compris que l'homme concentre l'univers... Il a créé le sien, peuplé de portraits à la mesure du monde, aussi différent que soit l'homme, aussi semblable aux autres, surtout quand la tragédie nous réserve le même destin. Lorsque vous entrez, vous vous sentez scruté, regardé, examiné car mille yeux vous épient et un regard bleu vous hante. Mais, vous vous apercevrez que certains visages sont aveugles, aveuglés, dépourvus d'expression. D'ailleurs, les faces humaines sont déclinées à l'infini, si identiques, si dissemblables, si proches et pourtant si étrangères. Une ruche d'êtres au même visage qui subit toutes les mutations possibles à en perdre l'humain ou à l'atteindre. Est-ce le monde qui déshumanise l'homme ou est-ce l'homme qui s'auto déshumanise? L'homme a-t-il fabriqué la machine à broyer l'humain? " Le visage humain est, avant tout, l'instrument qui sert à séduire, écrit Gaston Bachelard. Certes, d'autant plus que le peintre joue à grimer les visages, à les maquiller pour estomper les traits, les effacer ou les accentuer pour une énième réincarnation en animal ou en végétal. Et l'on constate tous les signes de la transformation. Ce n'est pas un hasard s'il s'est choisi le surnom de " Gattous", d'ailleurs, l'on remarque ce magnifique regard obsédant de chat chez ses personnages. " Etre... au monde " est né d'une désespérance, d'un sentiment d'impuissance devant une tragédie annoncée, celle de la perte des repères et de la descente en enfer. Perdues les empreintes, perdu l'ancrage. Désormais, nous allons assister à la déchéance et au néant et se posera la terrible question " Etre ou ne pas être?". L'aire du clonage est là qui formate les corps et les esprits. Une équation terrible hante la palette et ne sera jamais résolue: 1+1=0 ou si, en quelque sorte, puisqu'elle demeurera le secret d'un artiste en perpétuelle interrogation ou est-ce un clin d'œil plein de malice car l'écart entre le tableau et son titre est, si souvent, immense et flirte souvent avec l'humour et l'antiphrase. Il en va ainsi avec les termes empruntés au dialecte le plus imagé et expressif. Un savant mélange entre les registres de langues et les jeux de mots qui suscitent l'hilarité. Mais, il serait réducteur de se poser ces questions, car, déroutant est cet artiste à tel point que nos intentions seraient de fausses clés puisqu'elles n'entament pas l'énigme de toutes ses œuvres. Un projet initial a cédé le pas à un autre, imposé par une réalité bien amère, car l'artiste est au cœur du monde de la cité, de ses préoccupations et de ses problèmes. Impossible fut, pour lui de s'en défaire. Cette notion de l'engagement est un impératif catégorique qui le pousse à changer de route et à s'intéresser à l'urgence du moment. Un engagement sans concession aucune qui va jusqu'à l'obsession, jusqu'à la démence, tellement son monde est riche, tellement son imaginaire est débordant d'êtres fantasmagoriques, tellement clownesques qu'ils n'en sont pas moins réels. Une pléthore de portraits, de toutes dimensions, de techniques différentes, de toutes les couleurs d'une palette incroyable vous séduit, vous interpelle et bien d'autres découvertes, belles trouvailles. Un être qui met à nu le paraître, le tourne en dérision, le donne à voir, à imaginer, à déchiffrer et le sublime.