Avec "Clair-obscur", Latifa Zouhir fait une remarquable entrée dans l'univers du roman. Sa première oeuvre qui vient de paraitre aux éditions l'Harmattan à Paris constitue un texte d'une grande finesse et suit les pas de Sofia Beirem, une jeune tunisienne tiraillée entre deux cultures, dans une époque encore marquée par le Protectorat français. Personnage central de ce roman, Sofia est de père tunisien et de mère française. Cette identité héritée sera le clivage sur lequel est construit ce roman de l'introspection et du déchirement. C'est en effet, une plongée dans les méandres dans lesquels peut s'égarer un enfant mixte, bâtard lumineux, métis plein d'espérance. Au seuil du labyrinthe que sera sa vie, Sofia hésite, subit l'impact de ses racines et la tentation des novateurs. De fait, le roman de Zouhir est une réflexion sur le destin, une parabole qui, à partir d'une vie qui vacille, tente de traquer l'implacable chemin de nos parcours. A maints égards, Sofia avance dans la vie comme ces tragédiennes antiques, matraquées par le destin, guettées par les insatiables Parques et toujours basculant dans la tourmente rédemptrice. Perdue au seuil du labyrinthe De toutes les manières, Sofia n'est jamais un prénom neutre, surtout lorsqu'il s'agit d'un personnage romanesque. Ce prénom renvoie à la sagesse, la philosophie et aussi à l'inextricable destinée. Est-ce un hasard si Zouhir place en exergue de son ouvrage une citation de Omar Khayam selon laquelle: "Obeis au destin et supporte le mal car la plume ne peut revenir en arrière"? Ce sont toutes ces petites touches subtiles qui font de "Clair-obscur" une oeuvre attachante, la rencontre avec un être de chair et de papier qui hante les pages troublantes de cet ouvrage et semble arpenter à rebours les échecs d'une vie. Faut-il d'ailleurs parler d'échecs lorsque c'est plutôt le terme "incertitude" qui conviendrait mieux? Car ce clair-obscur, cet entre-deux aussi palpable qu'imperceptible dans lequel évolue Sofia n'est au fond que la conjonction de hasards objectifs, de décisions parfois alambiquées, de non-choix qui ne font que retarder les échéances. Sofia est ainsi: ballottée sans être une victime expiatoire, perdue au seuil du labyrinthe, tenaillée par les traditions, coupable à ses propres yeux de vouloir vivre... Le roman de Latifa Zouhir suit ses pas. D'abord une enfance qui l'obligera à s'affirmer dans la différence. Ensuite, la mort du père, Tunisien, et le départ vers Marseille avec la mère qui elle est Française. Tisser les toiles de l'errance Viennent alors les années d'un nouvel apprentissage plus ardu. Au seuil de sa nouvelle vie, Sofia se renferme, se retrouve engluée dans de multiples contradictions, s'assume en fuyant perpétuellement, au risque de s'essouffler, dériver, sombrer. Le roman installe son dispositif dans l'exemplarité - au négatif-positif- de cette vie qui oscille, tombe dans tous les traquenards mais parvient à toujours trouver une issue. Ce mal-être use les âmes et devient un fardeau que de rares éclaircies sauront conjurer. Entre son pays natal et Marseille, Sofia finira-t-elle par un retour aux sources ou bien continuera-t-elle à tisser les toiles de l'errance? A cette question, Latifa Zouhir apporte une réponse en demi-teinte, une solution ouverte et, pour tout dire, une fin en clair-obscur qui, après 250 pages de péripéties, souligne que Sofia est chevillée à la tourmente.