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Subtil jeu du « Je »
Publié dans Le Temps le 21 - 01 - 2016

Une pièce sur la laideur humaine où s'englue une société tunisienne postrévolutionnaire. Violences de Jalila Baccar et Fadhel Jaibi est, certes, une pièce sur l'homme. Celui-ci étant un agent ou un acteur de sa condition humaine. La violence est l'attribut majeur de l'œuvre, aussi bien formellement que sémantiquement. Danse des mots, vertige des sens... Le tout dans un jeu subtil du verbe et de l'acte qui le suive.
D'emblée, le titre de la pièce nous incite à se poser des questions : avons-nous envie de revoir des violences que nous avons déjà vécues dans le quotidien à travers les médias ? N'est-ce pas une manière masochiste de raviver ce qui nous a fait mal? Pourquoi donc une telle thématique? Est-ce un procédé didactique sur la condition humaine, l'inconscient et ses pulsions, le dédoublement de l'être schizophrène? S'agit-il d'une pièce existentielle ou encore d'une œuvre sociologique, qui planche sur les dessous d'une société opprimée ? Refoulée par moments?
La scène de l'absurde
et de la cruauté
Des personnages en état de névrose, une atmosphère rude, une lumière chétive et un décor minimaliste... le tout baigne dans une agressivité sonore, une expressivité physique et discursive violente. Sur scène, tout prend matière, s'incarne, devient de la masse lourde à supporter. Nous sommes devant une pièce de théâtre qui dérange, qui bouscule le spectateur, un théâtre de la cruauté qui puise son origine ne serait-ce dans une esthétique d'Antonin Arthaud. Il nous présente, de ce fait, un théâtre du dédoublement, où le « je » scénique est mis en abîme. De même, il redéfinit l'acteur, le place à mi-chemin entre réel et fictif. Fatma Ben Saidane et l'autre Fatma, Lobna Mlika et l'autre Lobna,... l'acteur oscille dans le jeu, entre le « je » et le « il », il se présente à travers son identité réelle et l'autre fictive, tout en déclarant que c'est la même identité (Jalila Baccar s'adressant à Fatma Ben Saidane : « l'autre Fatma c'est toi Fatma Ben Saidane »). Cela ne fait qu'arracher de sa passivité le spectateur, en l'introduisant dans cette vertigineuse recherche de l'être.
Une scénographie
de l'anti-espace
L'espace scénique est dépouillé et lugubre. Des murs gris, des bancs, une table. La hauteur et l'épaisseur des murs renvoient à un sentiment d'isolement, de cloisonnement, d'étouffement et d'enlisement de l'individu, de gré ou de force. Une scénographie de l'anti-espace interpelle d'emblée. Elle est inhérente au truchement du décor et de l'atmosphère qui évoquent la mort, le crime, la cruauté.
Cette négation de l'espace, de l'ouverture, de la connexion avec l'extérieur, de la communication, de la correspondance, est justifiée, car on se rend compte tout de suite, que nous sommes soit dans une geôle, une salle de torture, un parloir, une salle d'interrogatoire, ou un hôpital; le lieu est déterminé à travers le jeu et le discours des personnages. Dans ses différentes matérialisations, c'est un espace propice au conflit, à la collision et à la violence entre accusés et accusateurs.
De l'espace scénique émane une odeur morbide. L'attitude de l'actrice Lobna Mlika exprime le malaise dû à la puanteur. On se sent asphyxié, écœuré, on respire mal et on a envie de retenir l'apnée le plus longtemps possible.
Cet intérieur fermé correspond à l'intérieur intime des protagonistes qui serait mis à nu à travers l'accusation et le questionnement. L'atrocité de cet espace clos, rime avec l'abomination et l'inhumanité de l'âme humaine. La pièce nous enseigne qu'en fouillant dans les arcanes de l'individu, nous apercevrons les ramas qui s'y dissimulent ; des comportements qui semblent peut être anodins mais qui renferment en eux-mêmes les germes du mal. Faut-il fouiller dans la mémoire, dans l'âme humaine, dans son histoire, dans son passé, dans sa petite enfance, pour expliquer peut être le pourquoi de la violence!
L'archéologie du mal chez l'être humain
La pièce met sur scène des personnages qui ont commis les plus affreux délits. Peu importe, volontairement ou involontairement, consciemment ou inconsciemment, là ce n'est pas la question, car, le mal est fait qu'on l'avoue ou qu'on le nie. Les questions qu'on se pose : comment et dans quel état le coupable parvient-il à accomplir son acte, avec quelle émotion réalise-t-il son objectif ? Quand la force du mal, de la violence, se réveille chez l'homme et quelle est son origine ? Le criminel est-il bourreau ou victime, est-il sujet, ou a-t-il été objet auparavant, est-il actant, a-t-il subi une violence qui l'a poussé à réagir de telle sorte? Le crime est-il justifiable ou absurde ? Le metteur en scène ne cherche pas à donner une réponse ou une explication, mais aborde une thématique en suggérant des signes, en proposant des lectures de la réalité...
Le titre est exprimé dans sa brutalité, sans aucun procédé poétique d'atténuation ou d'euphémisme. Il est au pluriel, même si le substantif « violence » est générique, il peut ne pas supporter la marque du pluriel pour exprimer la multiplicité, mais le metteur en scène semble vouloir renforcer « cette pluralité » de types de violences, leurs origines, leurs causes et leurs conséquences. Certains s'expliquent par la vengeance, celui des élèves face à leur professeur, de la mère face à son fils ...
Dans cette palette sombre, le cas de Fatma, celle qui a tué son époux Hssine, alors qu'elle a été humiliée par un chauffeur de taxi, est important à analyser. Dans sa rencontre avec la psychologue, Fatma n'a pas répondu à la question de relater la scène où elle a tué son époux Hssine. En revanche, une scène ancienne lui revient à la mémoire. Elle a raconté comment elle a violenté un chat de la manière la plus atroce, quand elle était enfant de 12ans. Cette archéologie du mal déterre en quelque sorte le profil d'un criminel, conforte dans l'idée qui dit que l'être humain est porteur de mal.
D'autre part, le fait de tuer l'époux à la place du chauffeur de taxi est complexe : est-ce une manière de projeter sur l'autre même s'il n'a rien commis ? Les hommes sont semblables, ou peut-être l'époux aurait violenté sa femme, ou aussi le revers de l'amour. L'amour peut être à l'origine d'un crime lorsque la jalousie et la possession l'emportent. C'était la raison qui avait poussé l'homosexuel Moez à tuer son bien-aimé. Fatma imagine des déclarations d'amour de la part de son époux à travers un texte qu'elle a rédigé elle-même. La violence est une expression négative de l'amour dans son excès, dans son paroxysme, dans sa métamorphose sanguinaire.
La personne et son double
Le cas de Fatma frise le pathologique, un personnage complexe, tiraillé entre crime et amour, entre émotion et indifférence. Elle semble souffrir d'un dédoublement de personnalité. Il est vrai que la majorité des personnages de cette pièce sont présentés dans leur dichotomie, l'une et l'autre, la personne réelle et le personnage, l'apparent et le patent, l'être qu'on montre et celui qui agit en nous, l'être en état de conscience et celui qui s'épanche de l'inconscient, l'ange et le démon... Quand bien même, les accusés nient leurs actes meurtriers et s'inventent des récits, ils tombent, dans d'autres moments, dans la lucidité et jubilent dans la narration de leurs actes criminels, comme s'ils s'emportaient dans une sorte de démence, dans un état de sadisme (le cas de Fatma, de l'homosexuel, des élèves), ils se transforment en bêtes féroces. Avec le dédoublement psychotique, le passage à l'acte meurtrier s'accomplit.
Nous sommes tous l'un et l'autre, mais il y a une entité qui l'emporte sur l'autre et nous possédons le pouvoir de la maîtriser, de la castrer. Le metteur en scène revient à Camus « Un homme, ça s'empêche », un homme peut agir et peut s'empêcher d'agir, quand il est en état de conscience, mais s'il souffre de troubles psychotiques, s'il est dans un état second, s'il accède au seuil de l'inconscience, tout perd volonté, maîtrise, réflexion.
Situer ces faits divers avant ou après la révolution est une question à mon sens, formelle. Le crime existe par-delà le temps, par-delà l'ici maintenant. L'image de la société tunisienne n'était pas telle que l'ancien régime exportait, elle souffrait depuis antan de plusieurs syndromes, mais on tentait le dissimuler pour garder la vitrine nickel. Le bouleversement révolutionnaire, a fait, à la limite, émerger les maux de la société, et le terrain a été plus propice à la violence au nom de la liberté. La pièce est un regard esthétique porté sur un syndrome psychique chez l'individu dans un contexte déterminé. La violence est traitée dans un champ plus large. Il n'y a pas que les accusés ou les criminels qui sont violents, mais aussi leur vis-à-vis, ils sont emportés dans le tourbillon de la violence, par la nature du travail, la tension dans laquelle ils se trouvent, la pression qu'ils subissent de leurs responsables, par le nombre de criminels qu'ils doivent interroger, ils perdent forcément leur humanité. La prison est vecteur de violence, c'est un endroit propice à la déshumanisation, le cas de Jalila Baccar qui a quasiment perdu son humanité, qui est transformée en une sauvage farouche, qui ne communiquait qu'en termes ou actes violents, dénuée de sentiments, elle a dévoré la fleur qui lui a été offerte et l'a violemment crachée, elle a refusé de sortir de prison, elle a tué le jeune Moez, alors qu'il parlait d'amour... Ces personnages sont par moment pitoyables quels que soient leurs actes. On ne sait plus s'ils sont totalement bourreaux ou victimes.
La question que je me pose, pourquoi aucun des personnages de Violence(s) ne s'est repenti ou n'a culpabilisé à un moment donné, pourtant c'est humain, et généralement la personne même la plus criminelle se confronte à une certaine responsabilité morale, une remise en question, une certaine distance qui redéfinit les responsabilités à travers une immersion du surmoi. Ce trait n'a pas été souligné par le metteur en scène.
Le personnage de Sartre, Franz, dans la pièce Les Séquestrés d'Altona, suite à ses actes de torture anti-nazi est entré dans une phase de folie. Dans la nouvelle de Tchékhov, « Mort d'un fonctionnaire » le personnage Tcherviakov meurt parce qu'il est resté prisonnier d'un acte insignifiant qu'il avait commis naturellement, (il avait éternué sur la tête de son patron, dans une salle de théâtre)....
Violence(s) est sans doute une pièce qui s'ajoute au paysage théâtral tunisien par la quintessence de la mise en scène, la précision de l'approche théâtrale, la justesse du jeu des comédiens, l'importance du sujet abordé pour que la société se rende compte de son degré d'agressivité qui va crescendo. Le metteur en scène nous propose une approche esthétique qui transpose le réel, le transcende en évitant les clichés et le déjà –vu.


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