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Ma vie avec la rose
Publié dans Le Temps le 17 - 05 - 2016

Sind-Bad Bey dont le chemin croisa le mien, alors que je rôdais dans la zone bleue, à la recherche de la reine de Saba, il y a de cela quelques années-lumière, me raconta l'histoire que voilà. Et il insista sur le fait que ce n'était pas là une histoire rêvée ou imaginée, mais bel et bien, une histoire vécue.
Connaissant sa sincérité, je ne peux que le croire. J'espère qu'il en sera de même pour vous. Ecoutez -le plutôt narrer, cette étrange et belle rencontre d'amour.
Fol amour me diriez -vous? Oui, oui, je le concède: l'amour est absolument fou.
Vous n'êtes pas sans savoir mon ami, me dit-il, que j'ai passé ma vie (tout comme vous je l'imagine), à voyager à travers l'espace et le temps. Ces voyageurs, sont des êtres de mercure dansant.
Ainsi, tout comme vous, j'ai traversé les contrées du grand gel, les déserts dévorants et les prairies de l'éternel printemps. En poursuivant l'amour, j'ai savouré les délices à la fois éternels et éphémères, des rencontres charnelles et célestes. J'ai aussi, subi, les coups mortels des ruptures et de l'éloignement. Mais mon histoire avec la rose, demeure - à cet âge où je ne peux plus rêver d'aimer, mais plutôt rêver d'amour - ma plus belle histoire d'amour.
En voici les faits!
Port d'attache...
Après chacune de mes pérégrinations à travers cet univers fabuleux qui nous est offert, je retournais, comme tout guerrier fatigué, panser mes blessures, dans ma cité natale. Ce port d'attache, où mes ancêtres, corsaires, guerriers ou négociants, avaient jeté l'ancre il y a de cela quelque cinq siècles. Presqu'île fortifiée, d'où ils partaient pour des razzias rapides, dans le sud de l'Espagne, de la France ou de l'Italie. Ramenant butins et belles égéries, et regagnant, alors, ce port antique creusé à même le rocher, pour couler des jours heureux, à l'abri de ces murailles fortifiées qui demeurèrent infranchissables pendant quelques siècles, jusqu'au jour où Espagnols, Français et Italiens, se regroupèrent pour détruire cette cité qui avait fait leur malheur. La cité se vida alors, pour la deuxième fois de son histoire, de la majorité de ses habitants, mais d'autres migrateurs ne tardèrent pas à affluer, de toutes les contrées du sud de le méditerranée, mais aussi d'Europe. Mes ancêtres paternels, arrivèrent de Séville.
Le premier qui s'installa dans cette cité, qui possédait un joli trésor, épousa une turque de grande lignée. Ceux qui étaient du côté de ma mère, avaient devant eux une solide réputation de corsaires. Le premier était le bras droit d'un fameux RaIs.
A cause de mes incessants voyages, les liens avec les membres de ma famille s'étaient émoussés. Quand il m'arrivait de rentrer, je ne rôdais plus du côté de la cité antique, mais louant un petit et charmant bungalow, dont l'esplanade donnait directement sur l'une des plus belles plages de sable de l'univers. C'était généralement, au mois de mai, et les six autres bungalows, qui jouxtaient le mien, étaient déserts. Et leur propriétaire, un commissaire de police à la retraite, ne pouvait le louer qu'à la haute saison estivale: juillet et août.
Mon corps et mon âme endoloris par les aléas et les risques de mes voyages, avaient besoin de repos pour se revigorer. Alors, je menais une vie de oisiveté absolue. A peine le petit déjeuner consommé dans un café de la nouvelle ville, je m'attablais au Lido, face au nouveau port de pêche. Après le déjeuner, généralement du poisson, je regagnais mon bungalow où une sieste, avec porte entrouverte sur la plus somptueuse des berceuses: les chuintements des vaguelettes, jeunes et ténues dans leurs carrosses câlines et toutes en bulles, sur un sable immaculé.
Vers la fin de l'après-midi, j'avais pris l'habitude de passer voir ma soeur aînée, dans sa maison située du côté de la zone touristique. Avant de la quitter pour regagner l'hôtel du Messie, la plus jeune de ses trois filles, ne manquait jamais de m'offrir une rose, cueillie d'un superbe rosier planté juste à côté de la porte d'entrée du jardin.
C'était des roses munies d'une tige solide, haute et fière. On dirait des petits palmiers en miniature. Solitaire, je passais mes nuits, en compagnie de cette rose, que je prenais soin d'installer dans un grand verre d'eau.
La rencontre...
Elle demeurait juste ma compagne, tout au long de ma soirée à l'hôtel de Messie. Avant de rentrer, je l'offrais toujours à un couple, connu ou inconnu. Elle était mes nuits et mes journées, pendant la période de villégiature dans ma cité natale, au moins de mai. Elles se suivaient et se ressemblaient à la lettre, jusqu'au jour où eût lieu, mon inimaginable rencontre avec cette créature qui allait ébranler ma vie. Ma rencontre avec la rose!
Celle qui n'aurait dû être qu'une belle rose parmi tant d'autres, allait se révéler à moi comme un être supérieur et magique. Quand ma petite nièce me l'offrit comme à son habitude, au lieu de la saisir par la tige comme j'avais coutume de faire, je pris sa tête tout en pétales frémissantes dans la paume de mes deux mains, comme on prendrait un oiseau. Et ce qui se passa alors fut fulgurant. Je sentis battre son coeur.
Vous vous diriez peut-être que je déraille, qu'une rose n'a pas de coeur, mais je vous assure que cela se passa ainsi et que c'est la vérité vraie. Je sentis réellement battre son coeur. Il n'y a pas d'autres mots pour le dire. Non seulement je percevais ses pulsations secrètes, mais il me semblait qu'elle me parlait et que je comprenais ce qu'elle me disait. Dans quelle langue? Celle des rose. Les roses savent parler, mais il est donné à très peu de gens, la chance de percevoir et d'entendre ce qu'elles me disent. Elle me disait qu'elle avait hâte de rentrer chez moi, c'est à dire, chez nous, et de nous retrouver en tête-à-tête, loin des remous de la vie extérieure.
Avais-je d'autre choix que de lui obéir? Je lui obéis.
Je me hâtais de rentrer chez moi. En ouvrant la porte, je la priais d'excuser le désordre qui régnait à l'intérieur. Je la déposais délicatement sur ma table de travail, pour exécuter quelques rangements rapides de grande nécessité, tout en cherchant un ustensile où je pouvais la déposer. Je dénichais rapidement une petite bouteille vide, de celles qu'on offrait dans les avions. Je la remplis d'eau, l'installais sur la table de nuit à côté de mon lit, et y déposais celle qui allait devenir, ma plus belle, ma plus terrible histoire d'amour.
Durant toute la soirée, j'essayais de l'épater et de l'égayer pour la séduire. A la lumière d'une bougie, nous veillâmes une bonne partie de la nuit.
Je lui déclarais mon amour et elle en fît de même.
A l'aube, nous nous endormîmes simultanément; moi dans mon lit de prince charmant, elle, dans sa belle robe de cristal.
Quand je me réveillais au matin, j'avais la sensation, indéniable, d'avoir vécu ma première nuit de noces. Elle était là et elle me souriait. Je connus alors, ce sentiment fait de délice et de paix, qu'on nomme bonheur. Mais, cela fut de courte durée; car la vie ordinaire pris le dessus. Je me levais, et je fis ma petite toilette et m'habillais pour sortir.
Tristesse
Au moment de fermer la porte, je ressentis très fort, la présence de quelqu'un qui m'interpellait. Il me semblait même, écouter sa voix. Elle était là, dans sa belle -robe- bouteille et me signifiait sa tristesse parce que je l'ai, si rapidement et si injustement oubliée. J'eus la conscience honteuse de n'être qu'un aventurier fruste, à la passion braque. Je rentrais, et je refermais doucement la porte derrière moi. Je m'avançais vers elle, déposais un léger baiser sur ses pétales, aux aguets, et lui demandais humblement de me pardonner. Puis je lui expliquais ce que je devais faire. Sortir, marcher, regarder la vie dans les rues et à l'intérieur des lieux publics. C'était là ma vie et elle comprenait. Je la quittais donc, et une fois dehors, je compris très vite, que je ne devais pas m'attarder dans les rues de cette cité. A midi, j'étais de retour chez moi et je déjeunais en sa compagnie. Pour éviter qu'elle ne s'ennuie, je lui racontais ce que j'avais vu dehors. Je lui parlais surtout des quelques personnages loufoques, ou hors-norme, dont le comportement tranchant avec la vie rangée de la majorité des habitants de cette cité. Quelquefois, il me semblait qu'elle souriait quand je narrais telle ou telle anecdote. En tout cas, cela l'amusait et, partant, m'amusait, moi aussi.
Un amour, n'est-il pas souvent des mots ordinaires, qu'on murmure l'un à l'autre? Que reste-t-il enfin de compte, des grandes histoires d'amour à part l'histoire que l'on raconte?
Notre bonheur à deux, survécut à une éternité qui n'était que trois jours. Au matin du quatrième, une présence terrifiante s'imposa à moi, s'interposa entre elle et moi, menaçant de détruire notre fragile île de bonheur: la mort!
Je devais me rendre à l'évidence: la vie d'une rose détachée de son rosier, ne pouvait durer que quelques jours. Quatre ou cinq; une semaine à tout casser.
Cette réalité qui s'imposa à moi, eut l'effet d'un coup de massue. Sans trop savoir ce que j'allais faire, je quittais la maison et errais pendant quelques heures dans la rue, puis, je me retrouvais dans la maison de ma soeur aînée où je demeurais pendant quelques minutes. En sortant, la plus jeune de ses trois filles m'offrit, comme à l'accoutumée, une rose. Je passais toute la soirée, en sa compagnie.
Sonné comme un poète maudit, je regagnais mon bungalow à l'aube. Dès que j'eus ouvert la porte, elle me surprit. J'avais sa rivale, la nouvelle rose à la main. Et elle me signifiait toute sa tristesse, du fait que je l'ai trahie.
J'eus beau lui expliquer que ce n'était-là qu'une vague âme, rencontrée par hasard, en fin de nuit, et avec laquelle je n'avais aucun lien sentimental, sa tristesse me fendait l'âme. Je lui disais que c'était elle ma chérie, que personne à part elle, n'avait la moindre petite place dans mon coeur, sa tristesse me fendait le coeur. Même si par amour ou gentillesse, elle semblait m'avoir pardonné, je savais que quelque chose s'était cassée en elle. Je lui fis des compliments sur sa belle robe de cristal. Elle fit semblant de me croire.
Quand je déposais sa rivale dans ma grosse bouteille de la même marque, et insistais sur la lourdeur et le manque d'élégance de sa robe, elle fit semblant de me croire, car elle savait que sa rivale venait d'être cueillie dans la journée, et qu'elle allait donc lui survivre. Je la comprenais. J'avais même poussé l'indélicatesse, jusqu'à passer une sorte de pacte secret entre la rose nouvellement cueillie, et moi. Ce pacte se traduisait à peu près à ceci: je ne vais pas te parler, je vais t'ignorer par égard, pour ma première aimée, car, de toute façon elle va faner dans quelques heures, et tu lui survivras. On pourra alors s'aimer.
Ce pacte diabolique ne tiendra pas le coup face à la force d'aimer.
Au bout du troisième jour, alors que je les enlevais du bord de la fenêtre, pour les déposer sur la table, les pétales de l'une d'entre-elles tombèrent en poussière. Et contrairement à ce que vous pourrez penser, ce n'était pas la première, mais la nouvelle. Parce que je ne lui avais pas parlé. Les histoires d'amour ne sont-t-elles pas ces quelques mots ordinaires, qu'on murmure à l'oreille de celui qu'on aime, quand on est seuls tous les deux?
H.G
(Il nous a quitté un jour comme aujourd'hui. Cela fait deux ans déjà. Jour pour jour. Une semaine avant, un certain 8 mai 2014, il avait signé son roman : « Discours d'un jeune âne amoureux » à l'Espace Bouabana Pour les Arts (rue de Marseille), entouré de ses amis et de tous ceux qui l'aimaient. Et à qui il manque tant aujourd'hui... Il était heureux comme un enfant. Et fatigué. Mais il voulait enchaîner avec un autre livre. Tout de suite après. Cela lui tenait à cœur. Il voulait reprendre un texte qu'il avait écrit il y avait quelques années déjà, et qui était sorti sur les colonnes de notre journal (Le Temps) à la date du 20 avril 2009 : « Ma vie avec la rose ». C'était un projet qu'il portait dans ses tripes. Et qu'il voulait faire aboutir. A la vie à la mort. Il n'aura pas le temps de le faire...
En guise de clin d'œil, nous avons choisi aujourd'hui, puisque Hechmi Ghachem Bey n'aimait pas les hommages, de ressortir son texte sur les pages mêmes de ce journal, où il avait offert à ses lecteurs, à chaque fois, quelque part, à coup sûr, toujours, une part de lui. Toujours la meilleure. Car lui ne savait pas tricher. C'est ce qui s'appelle être précieux et rare. Nous ne l'oublierons pas.)
Samia HARRAR


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