A lire les titres à la Une des quotidiens d'hier matin, soit 24 heures après la fin des travaux du congrès de la centrale islamiste Ennahdha, l'impression qui domine et angoisse les Tunisiennes et les Tunisiens (non-nahdhaouis), c'est la peur d'un nouvel hégémonisme des « islamistes » plus « politiques » que jamais, à travers cette mobilisation intense et excessive, une véritable démonstration de force et d'aisance financière qui annonce bien des ambitions et un grand appétit pour le pouvoir malgré toutes les assurances du « cheikh » toujours humble et conciliant. Autres indices qui ne trompent pas et qu'on trouve dans le sondage des quotidiens de « Dar-Assabah » et qui montrent que le « peuple » de la modernisation, de la véritable spécificité tunisienne qui regarde plutôt la Méditerranée-Nord et l'Europe occidentale, que l'Arabie désertique au Sud et à l'Est, s'accroche mains liés à « Nida Tounès » malgré toutes ses tempêtes, depuis son triomphe aux élections de décembre 2014. De même pour la remontée à la 3ème place du podium derrière le Nidaa et Ennahdha, du Front populaire de M. Hamma Hammami qui se positionne juste derrière le président actuel, M. Béji Caïed Essebsi, mais, quand même, devant M. Mohsen Marzouk, dissident de Nidaa Tounès et chef du Parti « Machroû Tounès » ou le « Projet Tunisie ». La première conclusion de tout cela, c'est que la centrale islamiste a préservé tout son référentiel au niveau structurel au moins. Le conseil de la « Choura » est maintenu tel quel, intact, à un détail près, et tout le personnel politique de base et du commandement s'y trouve aux premières loges, y compris, l'énigmatique « absent », Samir Dilou, qu'on n'a pas vu à Radès. Par conséquent, M.Rached Ghannouchi, qui a écrasé la « compétition » par sa stature et parce qu'il est l'un des rares précurseurs identitairement « Frères musulmans », à avoir compris que le temps de séparer la politique de la prédication religieuse a bien sonné. Rappelons, quand même, sur ce chapitre, que les Musulmans du monde entier, sont encore en retard de plusieurs siècles sur la « démocratie chrétienne » et la laïcité culturelle de fait du monde occidental, sans parler de l'Asie qui pointe et qui a ramené la religion à sa plus simple expression dans la gestion des affaires de l'Etat comme la Chine, le Japon et même la Malaisie et l'Indonésie, pourtant à majorité musulmane . Deuxième conclusion, le vide énorme face à Ennahdha dans la polarisation d'un véritable pôle homogène du centre et de la gauche « libérale » et qui laisse présager un véritable « Waterloo » des formations centristes de la modernisation, aux prochaines municipales... et là, bonjour la Tunisie – « Erdoganienne » ! Faut-il rappeler que la première grande victoire de M. Erdogan, notre ami Président de toutes les Turquie et de son parti « Justice et développement » (Al aâdala wattanmiya), a été aux municipales turques et que depuis, ce parti islamiste, proche des « frères musulmans » ne lâche rien et opère un contrôle total sur la vie politique en Turquie. Disons aussi pour la vérité que l'économie turque a connu avec Erdogan, une véritable prospérité et croissance avoisinant les 9%, juste deuxième derrière la Chine. Mais, tout cela s'est passé avant que la Turquie n'ouvre grande ses frontières aux milices « terroristes » du monde entier pour la Syrie et le régime de Bachar Al-Assad ! Que voulez-vous, à chacun sa stratégie ! Les Turcs ont la leur et veulent agir en puissance régionale dans une zone fracturée au plus haut point par les Etats-Unis et ses alliés au Proche-Orient... et c'est légitime. Mais la Tunisie n'a ni les moyens, ni la géographie de la « puissance » régionale. Elle se contente bien de ce que Dieu et la nature, lui ont donné de merveilleux, de son peuple brave et d'habitude laborieux, avec ce génie avant-gardiste qui la met toujours devant, par rapport aux pays de sa dimension et surtout de l'attachement farouche à son indépendance nationale. Un petit mot, pour la fin. Ennahdha ne doit, finalement, rien à personne. A l'image de son « leader », cheikh Rached Ghannouchi, elle a été patiente dans l'épreuve, modeste et raisonnable au cours de cette année 2013, où son Premier ministre était encore le « grand Vizir » à la Kasbah, persévérante dans l'effort d'accepter la défaite de fin 2014, et surtout tacticienne pour s'attacher les bontés de la Présidence et le respect du chef du Gouvernement. Elle a profité à fond la caisse, des erreurs fatales de ses adversaires politiques, de l'instabilité sociale, de la mobilisation excessive syndicale de certaines familles bien excitées de la gauche extrême et qui ont fait ce ras-le-bol général d'un pays malade comme frappé d'impuissance et qui est bloqué par les grèves interminables et les sit-in, pour un « oui » et pour un « non » ! La goutte d'eau aura été l'occasion manquée de Nidaa Tounès, assailli de toutes parts et surtout avec un mauvais départ, de s'affirmer comme le relais du « Bourguibisme », seul mouvement identitaire de masse qui demeure, à notre humble avis, aussi, le seul contrepoids réel crédible à Ennahdha. Alors, que reste-t-il aux défenseurs de la modernisation, de la Tunisie éternelle depuis Carthage, des valeurs universelles qui sont, aujourd'hui, qu'on le veuille ou pas, ceux de la démocratie occidentale, qui sépare la politique et l'Etat de la religion ? Le seul chemin qui mène à « Rome », ne peut être, encore une fois, qu'une synthèse-combinaison, entre « Bourguiba – Hached et Ben Achour », dans un grand parti qui serait le relais véritable du Néo-destour et du Bourguibisme et qui peut à nouveau faire contrepoids aux islamistes triomphateurs ! Tout le reste relève des projections sur le long terme et les Tunisiens ne sont pas peuple à attendre davantage. La « Néo-Nahdha » elle, a construit sur l'existant et a rebondi malgré des handicaps majeurs, liés à ses périphéries extrémistes et même « terroristes ». Que dire des « destouriens » et des « bourguibiens », de gauche, du centre et même de la droite libérale. Certes, on les a culpabilisés à grande lessive et on continue à parler en toute désinformation malhonnête de « Mandhouma El Kadima » (l'ancienne structuration ou système) occultant l'œuvre colossale de l'Etat national moderne, depuis l'indépendance, ses réalisations majeures, ses universités, ses barrages, ses villes neuves, ses usines, son agriculture intensive, irriguée, son tourisme, jadis rayonnant, au Top cinq mondial, juste derrière l'Espagne, la Grèce, l'Italie, la France et la Grande-Bretagne, et devant notre grand sœur.... La Turquie ! On oublie les « dégourbifications » lancées, juste après l'indépendance, la fête de l'arbre qui a redonné des couleurs à ce pays, et last not least, le code du statut personnel, qui a libéré la femme tunisienne de l'obscurantisme et de l'esclavagisme. Plus que jamais, nous sommes appelés à reconstruire, en regardant devant, sans renier ni le passé, ni étouffer le présent et hypothéquer l'avenir. Or, les tentations hégémoniques sont toujours ardentes, là où « l'idéologie » campe à la tête de l'Etat et des institutions. Et comme « seul le pouvoir arrête le pouvoir » aucune force politique ne doit être outrageusement dominante, surtout celles lubrifiées par la religion et les idéologies extrémistes d'un autre âge. Aux Tunisiens d'y réfléchir sérieusement, « 2019-2020 »... C'est demain, et le vide c'est, tout simplement, le suicide politique ! K.G