Par Khaled Guezmir Le paysage politique tunisien subit certainement les retombées des ruptures de cordages à Nida Tounès mais pas les seules ! L'année 2015 a vu aussi le piétinement du Front populaire qui s'est installé dans l'immobilisme idéologique et qui n'arrive pas à se positionner comme force crédible de « gouvernement ». Le leader du Parti socialiste, M. Mohamed Kilani, le regrette amèrement et dit la vérité toute nue. Le Front populaire n'arrive pas à se libérer du legs idéologique des années soixante et se comporte encore comme les « socialistes » extrêmes, d'avant Mitterrand en France. D'où l'appel à un grand rassemblement socialiste dans un parti mieux adapté à la Tunisie et au monde d'aujourd'hui. Il y a quelque part une certaine pudeur et un manque d'audace et de courage politiques, à aller vers le « centre-gauche » ou ce qui est désigné par la nouvelle doctrine : « le social-libéralisme ». Toutes les prises de position du Front populaire ont navigué dans le « tout ou rien », l'opposition systématique à la coalition « contre nature » pour eux, du Nida Bourguibien progressiste et d'Ennahdha libérale conservatrice. Or, toutes les donnes ont changé de par le monde et le rapprochement s'est opéré déjà depuis la sociale-démocratie allemande, puis, Tony Blair, en Grande-Bretagne, et enfin, François Hollande, en France, où la marge de séparation et de fracture entre la gauche et la droite est devenue presque insignifiante. Vouloir, aujourd'hui, en 2016, ramener la Tunisie au collectivisme des années 50 de l'Europe orientale, et des années soixante de la Tunisie de Ben Salah, ne passe plus ! Idem pour la remise sur orbite de l'Etat, employeur, commerçant, industriel, agriculteur, banquier etc... ça ne passe plus aussi, depuis que la Chine de Deng Sia Peng a fait exploser aux quatre vents, la dictature du Prolétariat et l'Etat unique promoteur du développement. La Chine a créé le séisme et inventé le « communisme »... libéral et capitaliste qui a donné, et de loin, plus de bien-être au peuple chinois tout entier, que toutes les « illuminations » de Mao ! Dernier pays à bouger dans ce sens, Cuba, qui sort la tête d'une misère noire, globale et généralisée et se prépare à un nouveau départ en direction de l'oncle « Sam », jadis ennemi irréductible. Par conséquent, s'acharner sur la coalition « Nidaïste-Nahdhaoui », n'est plus crédible, car contre-productive ! Là où la gauche plurielle tunisienne, sans doute, a raison, c'est de pousser Ennahdha à séparer la politique de la religion. En effet, la centrale islamiste ne peut pas continuer à berner la majorité des Tunisiennes et des Tunisiens et à leur imposer une identité culturelle type « frères musulmans », tout en criant sur tous les toits qu'elle est un parti « civil » et démocratique attaché à l'identité spécifique millénaire de la Tunisie des lumières ! Aujourd'hui, le vrai débat se situe sur les plans économiques et sécuritaires. La gauche n'a pas fait des pas francs et sans ambiguïté vers le « social-libéralisme », qui fait les alternances au pouvoir crédibles en Europe et spécialement en Allemagne, en France en Angleterre et en Espagne. D'ailleurs, beaucoup de coalitions se font entre la gauche « libérale » et la droite « sociale » chez nos voisins proches du Nord de la Méditerranée. Nida Tounès, pour revenir à nos moutons, est-il réellement en perte de vitesse ! Je ne le pense pas... Mais, à condition ! Je m'explique. Le socle « bourguibien » du parti nidaïste est partagé par les deux tendances qui s'affrontent en ce moment, pour le leadership de la masse silencieuse, destourienne, syndicale et progressiste au niveau identitaire et ses vecteurs permanents : la liberté de la femme et l'éducation moderniste. Toute tentation d'abandonner la « synthèse », Bourguiba, Hached et Fadhel Ben Achour, aura des répercussions électorales majeures à l'avenir. C'est le « basement » comme disent les anglais, de l'édifice nidaïste et de son succès. Ceci, d'ailleurs, BCE, le fondateur de Nida Tounès l'a bien compris. On ne peut pas réaliser une intégration parfaite entre Nida Tounès et Ennahdha tant que les islamistes continueront à vouloir s'approprier l'espace religieux. La crise de la mosquée « Sidi Lakhmi » à Sfax, a tout remis en question du moment où les leaders d'Ennahdha, toutes tendances confondues, ont défendu et de quelle manière, l'Imam politisé à l'extrême : Ridha Jaouadi. Mais, quid, alors de cette « alliance » presque structurelle du Nida et d'Ennahdha, alors qu'au niveau des « valeurs » le fossé est loin d'être comblé. Là le rapport de force est, et sera, déterminant. Le Nida ne peut survivre que si Ennahdha est contenue dans des proportions acceptables par la société tunisienne qui est attachée à son identité culturelle spécifique, à la modernisation et à une certaine harmonie avec l'environnement occidental chrétien et laïc. Tant qu'Ennahdha est bon 2ème ou même premier « bis » avec le Nida, l'alliance peut survivre. Mais, si le Nida faiblit pour passer lui, en deuxième position et à l'opposition, il sera terrassé, car l'Islam politique est hégémoniste de nature et n'accepte le « partage » du pouvoir, que s'il n'est pas « number one » aux commandes. La Troïka l'a bien prouvé... ! Le CPR et Attakattol ont été les « partis » lâchés mortellement par les électeurs pour avoir cru à une possible « coexistence » durable avec Ennahdha triomphante et dominante. D'ailleurs, plus Ennahdha est forte et dominante, et plus son « projet » de « laïcité musulmane », à l'instar de la démocratie chrétienne et de la CDU allemande, par exemple, sera abandonné. C'est comme cela et c'est une règle universelle, les systèmes trop forts ne roulent pas pour la démocratie. Par conséquent, Nida Tounès joue avec le feu... C'est une question de vie ou de mort. S'il n'arrive pas à être et rester, le « premier », et s'il passe au statut d'Ettakattol ou du CPR, comme au temps de la Troïka, il subira le même sort et disparaîtra. A ce moment là, et faute d'une réforme audacieuse du Front populaire, vers le libéralisme et même vers le « Bourguibisme » tout court, nous aurons à l'horizon 2020, un gouvernement à la turque, pourvu qu'Ennahdha sache trouver... l'Erdogan ! En politique, être faible, c'est disparaître. Les Nidaïstes ont le dos au mur, et s'ils veulent être toujours au commandement, ils doivent mobiliser fort, brasser large et surtout ne pas compter sur la « tutelle » des Islamistes, qui les lâcheront au premier tournant. Il y a une grande différence entre être premier et coexister avec le deuxième et être deuxième d'appoint avec un premier qui s'estime avoir pour vocation religieuse, à n'être que le premier ! Notre ami Erdogan est au pouvoir depuis 15 ans déjà ! Le partage-t-il ! A vous de juger... car seul l'équilibre des forces ramène au partage des pouvoirs ! K.G