Un Institut américain des études stratégiques et sécuritaires vient de nous donner un nouvelle, très peu réjouissante, celle de l'appartenance en Tunisie de plus de 50.000 jeunes (excusez du peu), au takfirisme violent et vivant au seuil de l'adhésion à Daëch et compagnie ! Déjà, nous avons l'armée terroriste la plus performante du monde avec 12.000 combattants entre la Syrie et l'Irak sans compter les quelques 3.000 « formateurs » tunisiens en Libye dans les camps de Derna, Syrte et même à quelques 100 kms de nos frontières du Sud-Est. Le rapport américain est des plus flous et il explique ce phénomène, plutôt bizarre et inattendu, dans un pays honoré Prix Nobel de la Paix et classé seule Démocratie pluraliste effective du Monde arabe depuis 2011. Il recommande, entr'autres, de coordonner les orientations de l'Islam politique avec les rationalistes (Ilmaniines), car chacun rame pour soi et chacun veut mettre l'autre devant le fait accompli en occupant le champ médiatique et identitaire. Le même rapport fait allusion au système éducatif « officiel » plutôt rationaliste et le système de formation religieux occulte et (parallèle) à travers les associations et les partis. Soit dit, en passant, les Américains sont très forts pour diagnostiquer le mal mais comment ils le traitent, c'est là où les questions ne se comptent plus ! J'écoutais, hier matin même, à la Radio nationale, un débat sur le sujet avec la participation d'experts (Mme Dr. Gaâloul, présidente d'un Centre stratégique et sécuritaire tunisien) et de partisans islamistes proches d'Ennahdha, toujours omniprésents, toujours les premiers invités de nos médias et toujours à l'affût de la moindre critique ou analyse défavorable sur la diffusion d'une certaine culture de l'Islamisme politique engagée et militante qui peut conduire ou du moins justifier l'adoption par les jeunes « désespérés » économiquement et socialement du takfirisme jihadiste comme « culte » légitime et ordonné par Dieu et la Chariaâ ! C'est toujours les mêmes thèses qui reviennent de part et d'autre. Les Islamistes parlent de la « désertification » opérée par l'Etat national moderne et son fondateur Habib Bourguiba, qui est responsable, selon eux, du phénomène précité, parce qu'il a démembré l'enseignement zeitounien. Les rationalistes leur font assumer, quant à eux, toute la responsabilité de la dérive extrémiste et obscurantiste à travers les prêches enflammées, des Imams comme MM. Ridha Jaouadi, Noureddine El Khadhemi (ancien ministre... s'il vous plaît), Khemis El Mejri, Bechir Belhassen et bien d'autres gros calibres venus directement de « l'usine » d'Orient chapeauté par les Wahabistes et les Frères musulmans, Wajdi Ghoneïm, Karadhaoui, etc... ! Mais, alors, que faire, pour connecter les deux pôles identitaires si éloignés les uns des autres. Les efforts d'un cheikh comme Rached Ghannouchi récompensé plus d'une fois par les mêmes américains et par des prix de la modération, de la tolérance pour ses efforts à faire accepter le système démocratique et « civil » comme compatible avec la Chariaâ et l'Islam, peuvent ils consacrer une 3ème voie ! Certainement, mais à condition de lier la parole à l'acte et de ne pas se porter solidaire absolu d'un Imam comme Ridha Jaouadi, de Sfax, confondu par ses propres prêches diffusés sans équivoque par vidéos et qui prônent le radicalisme le plus extrémiste de l'Islam politique. En effet, assimiler le jihad en Syrie contre Bachar El Assad, à un devoir dicté par l'Islam est plus que problématique et discutable pour les Tunisiens habitués à respecter le choix des Etats et des peuples en dehors de toute ingérence. (Wa Ahlou Makka adra bi chiaâbiha). Dans la même foulée, le président d'Ennahdha a diffusé un message, zélé et très chaleureux de félicitations à M. Erdogan, Président de la Turquie, car enthousiaste ne serait pas assez fort mais plutôt engagé et militant et où la victoire de l'AKP, le parti islamiste d'Erdogan est gratifié de : « victoire du printemps arabe contre la contre-révolution » (Athawra al Mouthadda)... Et revoilà Ghannouchi, de nouveau, à l'offensive !! Quant à voir qu'est-ce qui s'est passé réellement en Turquie après la défaite relative de l'AKP, en juin dernier, le silence doit être de rigueur côté Ennahdha... Ni vu, ni connu ! Par conséquent, Ennahdha et même son président « libéral », hésitent à prendre le virage de la « Démocratie civile », jugée trop prématurée. Par contre, le modèle turque, celui de M. Erdogan, serait la voie à suivre en Tunisie à l'horizon 2020, qui sait même avant, si le séisme de Nidaa Tounès, redonne la majorité parlementaire à la Centrale islamiste. L'option n'est pas fantaisiste ni irrationnelle. Le modèle turque se « présidentialise » (et dire que Ennahdha nous a imposé le régime parlementaire à l'ANC... mais, c'est de l'histoire ancienne... diriez-vous !). Erdogan symbolise l'Etat fort policé, où les médias sont tenus à l'œil (sans aller jusqu'à Sahafet El aâr), la Justice et l'armée sont sous contrôle stricte, mais l'économie est libérale et ouverte, avec beaucoup de réussite par le passé récent et une croissance avant la crise syrienne, avoisinant les 7 à 8%. Ennahdha en rêve ! Elle a raté le coche avec la Troïka parce qu'elle a eu les mains « tremblantes », pas comme notre ami Erdogan, et parce qu'elle a donné la prééminence à la reconquête religieuse et identitaire espérant effacer 60 ans de rationalisme « bourguibien ». Aujourd'hui, Ennahdha pourrait tirer les leçons de ses échecs troïkistes passés en limitant ses ambitions au changement du modèle sociétal tunisien et en profitant des faiblesses d'en face. Parmi ces faiblesses, l'effritement de Nidaa Tounès, l'infantilisme des partis de gauches endoctrinés et même l'ascendance syndicale intensive de l'UGTT de M. Hassine Abbassi, qui « ralentit » quelque part, la relance économique et l'investissement. Ennahdha doit assurer et rassurer, si elle veut reprendre le gouvernail ! Assurer, par sa rupture définitive avec « l'Etat parallèle », ses associations douteuses, ses écoles « daâwiques » déguisées et l'économie de la pagaille intégrale. Rassurer en décrétant une fois pour toute la liberté du culte et d'être « musulman » sans aucune contrainte de type salafiste, wahabiste ou « frères musulmans ». Si elle fait tout cela, sans manœuvres « grossières », ni arrières pensées, elle pourra bien être aux commandes du pays à l'horizon 2020 ! Ghannouchi et son aile libérale éclairée doivent beaucoup s'engager pour cela... et ce n'est pas évident du tout, côté « bases » ! Encore une fois... le pari de Pascal... Le feriez-vous !