Le mois de Ramadan, comme celui au rythme duquel nous vivons ces jours ci, ne constitue plus pour les épiciers et les petits commerçants de proximité, une aubaine renouvelée pour grossir leurs chiffres d'affaires, à en croire certains d'entre eux que nous avons rencontrés à la Goulette et au Kram, dans la banlieue nord de Tunis, en vue d'avoir une idée sur leurs points de vue quant à l'impact de la concurrence à laquelle ils font face de la part des grandes surfaces commerciales, présentes en force dans la région. Cependant, il s'est avéré que leurs problèmes sont multiples et ne se limitent pas à cet aspect concurrentiel, uniquement. Ils se sont plaints de la concurrence déséquilibrée que leur livrent les grandes surfaces commerciales, suite à leur extension et leur implantation dans les zones d'habitation et les quartiers populaires où ces épiciers exercent, mais aussi et surtout de la concurrence déloyale qu'ils rencontrent de la part des commerçants et marchands exerçant de façon anarchique ainsi que de nombreux autres problèmes. Un épicier de la ville de la Goulette, ayant préféré garder l'anonymat, nous a déclaré, à ce propos : « pour tout vous dire, nous sommes pris entre le marteau des grandes surfaces commerciales et l'enclume des commerçants et marchands opérant de manière anarchique. Si nous échappons à l'étreinte de l'un des deux, nous nous trouvons tenaillés par l'autre. La part des affaires supposée nous revenir , grâce à notre proximité des citoyens et des consommateurs du fait de notre implantation au milieu des zones d'habitation et des quartiers populaires , est réduite, maintenant, à cause des commerçants et marchands opérant de façon anarchique qui nous assiègent et nous entourent de partout, vendant les divers produits à des prix bas, car ils ne supportent aucune charge, alors que nous sommes tenus de payer des impôts, des taxes, un loyer, des salaires aux employés, des factures d'électricité et bien d'autres dépenses. De l'autre côté, les grandes surfaces commerciales, en raison du volume de leurs opérations et affaires avec les industriels et les fournisseurs grossistes possèdent une grande marge de manœuvre pour vendre à des prix inférieurs aux nôtres, car les industriels et les grossistes leur consentent des réductions sur les prix de gros. Au même moment, les citoyens et consommateurs aisés et de la classe moyenne dans le Grand Tunis et autres villes tunisiennes, ont pris l'habitude de s'approvisionner en produits et denrées alimentaires, d'un seul coup, pour toute la semaine et davantage et ils préfèrent, pour le faire, aller, à bord de leurs voitures particulières, aux grandes surfaces commerciales qui, de surcroît, organisent, régulièrement, des actions promotionnelles et pratiquent divers procédés de marketing à l'instar des cartes de fidélité afin d'attirer le plus grand nombre de clients et les fidéliser. » Mise à niveau Dans le même contexte, l'épicier Ridha, de la Goulette, a signalé les avantages dont bénéficient les grandes surfaces commerciales auprès des industriels et fournisseurs en gros qui leur livrent, à titre gratuit, d'importantes quantités supplémentaires des produits et denrées qu'ils distribuent, en échange des grandes quantités de marchandises que ces grandes surfaces commerciales achètent auprès d'eux. Il a fait remarquer que les grandes surfaces commerciales réalisent d'importants bénéfices sur ces marchandises livrées gratuitement quel que soit le prix de vente, ajoutant que ses fournisseurs lui ont proposé, à lui aussi, cet avantage, mais son établissement n'est pas adapté. Or, les responsables du ministère du Commerce ont fait état, à maintes reprises, de l'attribution de licences d'exploitation de nouvelles grandes surfaces commerciales, y compris des hypermarchés, dans le Grand Tunis et autres villes côtières et intérieures, de sorte que la part de la grande distribution en commerce de détails va être portée à plus de 30%, en Tunisie, contre 60% en France, par exemple. L'extension de la grande distribution avait occasionné dans les pays industrialisés en Europe et ailleurs un grand recul et du nombre et des activités des épiciers et des petits commerçants de proximité, au point qu'il y est envisagé d'engager de nouvelles politiques pour redresser la barre. Toutefois, une récente étude de l'Organisation tunisienne de défense du consommateur (OC) a révélé que les citoyens et les consommateurs, en Tunisie, ne sont pas très satisfaits des prestations des grandes surfaces commerciales auxquelles il est reproché « une arrogance dans le traitement des clients et la recherche exclusive du profit ». Les épiciers et les petits commerçants de quartiers n'échappent pas, non plus, aux critiques des citoyens et des consommateurs, notamment en ce qui concerne les lacunes en matière de propreté et d'hygiène dans leurs établissements, et au niveau de la conservation et de l'exposition des produits, mais s'agissant aussi de la propreté des employés de ces épiceries, qui ne portent pas des tenues de travail, comme les blouses blanches et travaillent, vêtus de leurs habits de tous les jours, et le plus souvent des mêmes habits sans prendre le soin de les changer, pour de longues périodes. Les responsables, avant et après la Révolution, ont évoqué, souvent, des plans de mise à niveau du secteur de la petite distribution qui englobe les épiciers, mais la concrétisation tarde à venir et ces plans sont restés du domaine des projets.