Le phénomène de l'abandon scolaire touche 120.000 élèves par an depuis la révolution, selon des statistiques dévoilées lors d'une journée d'étude sur le thème «la déscolarisation et la démocratisation de la vie scolaire» organisée le week-end dernier à Tozeur par le syndicat général de l'enseignement secondaire. La déperdition ou le décrochage scolaire a évolué considérablement depuis les années 1980. Il n'a touché que 26. 000 élèves durant l'année scolaire 1984/1985 et 57. 613 élèves au cours de l'année 1994/1995, avant de dépasser le seuil symbolique de 100 000 élèves après janvier 2011. Quelque 160.000 élèves ont en effet définitivement abandonné leur scolarité et entamé une vie d'adultes prématurée durant l'année scolaire 2015/2016 contre 100.000 seulement en 2014/2015 et 107.000 en 2013/2014. Autant dire qu'on est bien loin de l'esprit de la loi d'orientation sur l'éducation qui stipule clairement que «l'éducation est une priorité nationale absolue et l'enseignement est obligatoire de 6 à 16 ans». Les statistiques montrent également que la déperdition scolaire touche plutôt les jeunes entre 13 et 17 ans qui représentent en moyenne 78% de l'ensemble des déscolarisés. La ventilation des élèves touchés par le décrochage scolaire selon le sexe fait ressortir que ce phénomène touche plus les garçons que les filles. En effet, dans le cycle primaire, les garçons déscolarisés sont deux fois plus nombreux que les filles. La même tendance se retrouve au cycle de base et au cycle secondaire. Objectifs quantitatifs et marketing politique Selon les experts, la montée du décrochage scolaire s'explique, entre autres par la « massification» de l'enseignement. L'annulation de deux examens nationaux naguère obligataires, en l'occurrence les concours de la 6ème année et de la 9ème année de base, et la prise en considération des moyennes annuelles au baccalauréat (à hauteur de 25% avant son abaissement à 20% en 2014) ont fait que bon nombre d'élèves passent d'un cycle à un autre sans avoir le niveau requis. Ainsi, les objectifs quantitatifs qui visaient à produire de belles statistiques nécessaires à l'opération de marketing politique de tel ou tel gouvernement l'ont emporté sur les aspects qualitatifs. Mais la médailles avait un sacré revers: les rangs des diplômés ont gonflé et les universités sont devenues peu à peu des fabriques de diplômés chômeurs, ce qui a grandement porté atteinte à l'image de l'éducation en tant qu'ascenseur social. De plus en plus de jeunes quittent en effet les bancs de l'école après avoir constaté que le vendeur de fruits et légumes du coin de la rue a décroché une maîtrise en finance avec mention très bien ou que le peintre qui repeint leur appartement est titulaire d'un master en langue et lettres arabes. La pauvreté est la mère de tous les vices D'autre part, la hausse de la pauvreté depuis la révolution n'a fait que remuer le couteau dans la plaie. Selon une récente étude réalisée par le Forum Tunisien des Droits Economiques et Sociaux (FTDES), 80% des enfants touchés par le phénomène de l'abandon scolaire, âgés de 13 à 17 ans, sont issus de familles défavorisées, avec des parents qui ont arrêté leurs études au niveau primaire ou n'ont en pas fait du tout. Cette étude réalisée auprès d'un échantillon représentatif de 601 enfants dans trois régions (Monastir, Kasserine et Kairouan) durant l'année scolaire 2013-2014 a également révélé que 50% des enfants interrogés se sont déclarés obligés de travailler pour aider leurs parents et améliorer la situation financière de leurs familles alors que plus de la moitié sont tentées par l'émigration, même clandestine, pour assurer leur avenir. Selon les données du ministère de l'Education, les plus importants taux d'abandon scolaire enregistrés depuis 2011 concernent d'ailleurs les gouvernorats où les taux de pauvreté sont les plus élevés, dont notamment Kairouan (8,8%) et Kasserine (environ 7%). L'étude du FTDES révèle, par ailleurs, que 66% des enfants qui quittent définitivement les bancs de l'école sont des garçons et que 90% d'entre eux ont connu un échec scolaire au moins une fois, avant de mettre fin à leur scolarité. Parmi les enfants touchés par l'abandon scolaire, 43% suivent une formation professionnelle, 31, 9% sont au chômage, 22,8% travaillent et 1,43% suivent un enseignement religieux.