Il fut un temps où la Tunisie se vantait de son classement dans les différents rapports des institutions internationales (sans qu'on puisse nous accuser de nostalgie pour l'ancien régime). Aujourd'hui, ce n'est plus le cas, et c'est même pire. La Tunisie disparaissait de certains classements pour absence de données, et reculait dans le classement pour cause de situation grave. Le dernier classement de la Tunisie dans le rapport du Forum de Davos sur la compétitivité vient confirmer encore une fois les difficultés que vit le pays actuellement. Mais a-t-on besoin du rapport de Davos pour évaluer la compétitivité du pays ? Est-ce le moment de parler compétitivité dans la conjoncture actuelle du pays ? Une absence et un retour fracassant La Tunisie a été depuis sa création comprise dans le rapport du Forum de Davos. C'est seulement en 2012 qu'elle a disparu du tableau. Elle était classée 40 ème sur 142 pays, lors du précédent classement (2011-2012). Les auteurs du rapport de Davos sur la compétitivité mondiale (2012-2013) ont indiqué, à ce moment, avoir décidé «de ne pas communiquer les résultats de cette année, en raison d'un changement structurel important dans les données, qui a rendu les comparaisons avec les années passées, difficiles», affirmant «espérer dans l'avenir, réinclure la Tunisie dans le classement». Le retour de la Tunisie dans le classement de cette année était fracassant et désolant. En effet, la Tunisie a perdu 43 places pour passer de la 40ème à la 83ème place, avec un score de 4.1 sur une échelle allant de 1 à 7. La Tunisie occupe la 6e place au plan africain, après avoir longtemps occupé la 1ère, et la 9e place au plan arabe. Mais si, dans le monde arabe, la Tunisie devance le Yémen (148e) l'Egypte (118e), la Libye (108e) et l'Algérie (100e), elle se situe cependant loin derrière le Maroc (77e), la Jordanie (68e) et le Bahreïn (43e), et très loin derrière l'Arabie Saoudite (20e), les Emirats Arabes Unis (19e) le Qatar (13e). En 3 ans, la Tunisie a perdu 51 places dans le classement. Les raisons de cette chute spectaculaire de la Tunisie sont toutes simples : – l'impact du terrorisme sur les affaires, – le coût des crimes et de la violence et le crime organisé – l'inefficacité des conseils d'administration – le développement de l'informel et de la contrebande, – le Recul de la productivité, – un climat social perturbé, L'impact de cette dépréciation de la Tunisie se manifestera certainement au niveau des IDE. En effet, les investisseurs qui cherchent des opportunités se basent sur ce genre de classements pour orienter leurs investissements. Pour revenir à la source, il faut définir la compétitivité. En effet, selon l'OCDE, la compétitivité est « la latitude dont dispose un pays évoluant dans des conditions de marché libre et équitable pour produire des biens et services qui satisfont aux normes internationales du marché tout en maintenant et en augmentant simultanément les revenus réels de ses habitants dans le long terme ». Les pays compétitifs sont donc ceux qui vendent comparativement plus que les autres (à l'export comme à domicile) et augmentent durablement la richesse à domicile. De cette définition, la Tunisie ne présente pas de grands atouts valables.
Au-delà du rapport de Davos
Au delà du rapport de Davos, la Tunisie a perdu énormément de sa compétitivité, et il ne faut pas attendre des rapports mondiaux pour le découvrir. En revenant au rapport de l'Institut Tunisien des études quantitatives et de la compétitivité, sur le niveau de la compétitivité de la Tunisie en 2012 on perçoit une analyse dramatique du milieu des affaires dans le pays post révolution. Dans le cadre de la compétitivité hors prix et du milieu des affaires, la Tunisie obtient un score de 0.625 (indice de 0 et 1 : plus on est proche de 1, plus on a un bon milieu des affaires). Selon le rapport de l'ITCEQ, les hommes d'affaires tunisiens souffrent encore plus de l'insécurité, de la montée de la corruption, des charges sociales insupportables et des difficultés au niveau du financement bancaire. Au niveau de la corruption les hommes d'affaires affirment qu'elle s'est développée dans les services douaniers, dans le corps de la police, et aussi au niveau des juges. Cette tendance de la montée de la corruption est confirmée par le rapport d'International Transparency. La Tunisie y a perdu 2 places dans le classement 2012, passant de la 73ème en 2011 à la 75ème place. La Tunisie était classée 59ème en 2010.
Le climat d'insécurité était aussi un élément décisif dans l'évaluation de la compétitivité et du milieu des affaires. Selon l'enquête de l'ITCEQ, 6.3% des chefs d'entreprises enquêtés affirment avoir fermé leur usine durant une période dépassant 1 mois, à cause de l'insécurité qui règne. Concernant les difficultés au niveau des banques, les hommes d'affaires dénoncent des taux d'intérêts exorbitants, des garanties bancaires insupportables, des délais longs pour avoir un financement, et des exigences importantes au niveau de l'autofinancement. La détérioration du climat des affaires influence directement l'investissement. Selon cette étude sur la compétitivité, plusieurs investisseurs ont affirmé qu'ils n'envisagent pas investir à cause du climat social défavorable, de l'absence de projets d'investissements pour la société, et du manque de financement pour investir. Concrètement, les éléments qui conditionnent l'intention d'investissement pour un investisseur sont les suivants (par ordre d'importance) : – la stabilité politique, économique et sociale, – les perspectives de la demande, – les incitations fiscales octroyées par l'Etat, – les conditions de financement, – la disponibilité des compétences nécessaires, – les incitations financières, – l'infrastructure, D'autres rapports et d'autres vérités Le rapport de Davos sur la compétitivité n'est qu'une synthèse aussi d'autres rapports sectoriels, qui couvrent la compétitivité de la Tunisie. En effet, dans le rapport Doing Business de la Banque Mondiale, la Tunisie a perdu 5 places, passant de la 45ème à la 50ème place.
Rapport Doing Business 2012- Banque Mondiale-Tunisie Sur un autre plan, l'association Freedom House publie chaque année son rapport sur les libertés dans les pays. Dans le rapport de 2012, la Tunisie y a gagné 5 places dans le classement mondial, passant de la 100ème à la 95ème place, mais le score qu'elle a obtenu (58.6) reste en deçà de la moyenne mondiale et de la région MENA. La Tunisie est accablée dans le rapport par la dégradation des libertés au niveau de la propriété intellectuelle, de la liberté de faire le commerce, de la liberté d'investir et des libertés fiscales.
Au mois d'Avril 2013, le Forum Economique Mondial a publié son «Global Information Technology Report 2013». Ce rapport, intitulé «Croissance et emploi dans un monde hyper connecté», examine notamment l'état des Technologies de l'information et de la communication dans 144 pays. Dans cette édition, la Tunisie est absente du classement à cause d'«une importante rupture structurelle dans les données» qui rendrait «difficile», selon le WEF, la «comparaison avec les dernières années». Encore une gifle pour un pays qui était l'exemple dans le secteur des TIC. Dans le même sillage, la Tunisie n'a pas figuré pas dans le rapport sur le voyage et le tourisme, publié par le World Economic Forum au mois de Mars 2013. La Tunisie a donc perdu beaucoup de son rayonnement et de sa place sur l'échiquier mondial. Le rapport sur la compétitivité de Davos qui vient de paraitre est venu juste confirmer une situation déjà existante. Mais soyons pragmatique : est-il aujourd'hui opportun de discuter de la question de la compétitivité alors que le pays est en proie au terrorisme et à l'instabilité politique ? Cette question est devenue, malheureusement, un luxe pour nous dans la conjoncture actuelle. Espérons que l'hémorragie s'arrêtera à ce niveau.