L'impatience se lit sur le visage du citoyen. Impatience qui se transforme au fil du déroulement des événements en irritation, voire colère. S'ensuivent alors les sit-in, aux mouvements de rue, pouvant donner à des dérapages qui sont autant de menaces sur la révolution du jasmin. Pour quelles raisons le Tunisien se met-il dans tous ses états dès qu'il est question de la situation politique, économique et sociale du pays? Un des griefs majeurs adressé au gouvernement provisoire concerne la lenteur des prises de décisions et de leur application sur le terrain. Mais avant de développer cette idée, il nous faut jeter un œil sur des exemples bien connus de révolutions qui ont mis du temps pour se concrétiser. Nous avons ainsi le cas de la révolution française de 1789, qui a duré une dizaine d'années avant d'ailleurs qu'elle n'ouvre la voie à un régime dictatorial. C'est-à-dire le régime contraire à ce que le peuple français espérait avant 1789. La révolution russe avait commencé, elle, le 23 février 1917 pour se terminer au mois d'octobre de la même année.
Ce retard pris est facilement explicable: la révolution est un changement brusque et violent dans la structure politique et sociale d'un pays quand un groupe se révolte contre les autorités en place et prend le pouvoir. Il n'est donc pas étonnant à la lueur de cette définition, que le cours des événements se ralentisse par moments avant que les passions ne s'exacerbent de nouveau. Il faut donc que le citoyen tunisien se pénètre de cette idée. Il était, ce citoyen, dans un terrible état de sevrage et de servage. Il lui est donc difficile de faire le saut vers le monde de la liberté et de la justice sans se heurter à des obstacles, souvent d'ailleurs inattendus. Il est difficile de gérer l'impondérable puisque cela ne repose sur aucun repère.
Vouloir tout, à tout prix et le plus tôt possible changer la donne peut donc relever de la chimère. L'équation liberté-ordre est la plus difficile à résoudre. Mais cela semble dépasser l'entendement du citoyen tunisien, tel qu'on le voit aujourd'hui, réclamant la mise à l'écart de telle ou telle personnalité politique ou administrative, annuler telle ou telle initiative, le tout dans une démarche empreinte de légèreté et de manque de clairvoyance.
Mais les autorités sont-elles pour autant exemptes de reproche? Certes, nombre de décisions intéressantes ont été prises mais on en pas vu la trace après dans le vécu quotidien de la population. Tout se passe comme si on ne voulait que satisfaire sa conscience sans chercher à évaluer l'impact de la décision sur le citoyen. La sentence tombe sèchement, le lendemain ou le surlendemain, exprimant le refus catégorique de la rue. Qu'à cela ne tienne! Le gouvernement remet le dossier dans le tiroir et se plie à l'exigence de la rue. Le flou règne à propos de la majorité des dossiers soulevés par la population. N'aurait-il pas été plus logique d'établir dès le début du soulèvement une feuille de route claire et transparente. On aurait eu, par exemple, procédé à l'élection d'une assemblée constituante qui aurait permis l'élaboration d'une constitution, puisque celle à laquelle on se réfère présentement, a été profondément amendée pour en faire une version conforme aux caprices de l'ex-président au point d'avoir perdu toute consistance. Ce n'est pas là la seule feuille de route possible. Il y en a d'autres aussi prometteuses. Mais l'essentiel est d'aller de l'avant avec dans le collimateur, un objectif précis et mobilisateur. Sans atermoiements ni valses-hésitations.